
En novembre 2016, l’impensable se produisait. Donald Trump, le bateleur populiste, magnat de l’immobilier et animateur de télé-réalité, devenait le 45e président des États-Unis. Comment avait-il pu battre Hillary Clinton, ancienne secrétaire d’État d’Obama et femme politique expérimentée ?
Très vite, une théorie complotiste allait s’imposer, avec de graves conséquences pour la vie démocratique américaine mais aussi pour la politique étrangère du pays : si Trump avait gagné les élections, c’était en raison d’un pacte faustien passé avec Vladimir Poutine. Afin d’expliquer l’inexplicable, les médias mainstream s’étaient alors précipités sur cette trop belle histoire du candidat républicain n’hésitant pas à vendre son âme au diable russe.
Trump, la marionnette du Kremlin
En réalité le procès en collusion n’était pas nouveau. Pendant la campagne présidentielle de 2016, les insinuations n’avaient pas cessé. « Candidat du Kremlin » (Politico), « marionnette de Poutine » (Slate) ou encore « candidat sibérien » (New York Times), les qualificatifs allaient tous dans le même sens. La victoire inattendue de Trump allait transformer les insinuations en une vérité officielle impossible à remettre en question.
Quelques jours avant l’investiture du nouveau président, en janvier 2017, un dossier de 35 pages était publié sur le site d’information BuzzFeed contenant des « révélations » sur les liens supposés de Trump avec le Kremlin, mais aussi des détails croustillants avec l’évocation d’une « sextape ». Afin d’exercer des pressions sur lui, les services secrets russes étaient accusés d’avoir filmé clandestinement en 2013 des parties de jambes en l’air du milliardaire républicain avec des prostituées dans une chambre d’hôtel de Moscou. La bonne vieille technique du « kompromat » (« dossier compromettant »).
Pas de doute, Trump n’était qu’une marionnette manipulée par le Kremlin. D’ailleurs le document comme la rumeur l’affirmaient : Trump et son entourage ne cessaient d’échanger des informations avec les Russes. Le sénateur démocrate Harry Reid, ancien chef de la majorité au Sénat, qui disait avoir eu accès à des informations classifiées, avait d’ailleurs interpellé le FBI, quelques mois auparavant, pour exiger le lancement d’une enquête. « Il est maintenant clair que vous possédez des informations explosives sur les liens étroits et la coordination entre Donald Trump, ses proches conseillers et le gouvernement russe », avait-il insisté.
Le « Russiagate »
En 2019, le rapport d’enquête « sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016 » supervisé par le conseiller spécial Robert Mueller aboutissait néanmoins à la conclusion suivante : « L’enquête n’a pas permis d’établir que des membres de la campagne Trump avaient conspiré ou s’étaient coordonnés avec le gouvernement russe dans ses activités d’ingérence électorale. »
Une conclusion qui n’avait en rien apaisé les esprits. Pour les opposants à Trump, collusion ou pas, sans ingérence russe, il n’y aurait pas eu d’élection du candidat républicain. Ce qui, rétrospectivement, nous montre que le thème du complot et de l’« élection volée » s’impose dès cette époque et démarre du côté démocrate. Côté républicain, on évoque le « Russiagate » et une volonté de compromettre Donald Trump afin, dans un premier temps, de l’empêcher de gagner, puis, après son élection, de tenter de le destituer.
Non sans quelques raisons, puisque le dossier divulgué en janvier 2017 à l’origine des révélations les plus fracassantes se révèlera être, comme le reconnaissait CNN en 2021, une grossière manipulation fabriquée par un ancien agent du MI6 anglais, Christopher Steele, et financée par… des démocrates qui avaient eux-mêmes fourni des informations aux sources de Steele, puis exhorté le FBI à enquêter sur les liens de Trump avec la Russie.
Ce qui ne fera que renforcer, chez les partisans de Trump, le sentiment d’une collusion, cette fois-ci, entre le Parti démocrate et la communauté du renseignement. Là où les démocrates voyaient la main du Kremlin, les républicains trumpistes voyaient la main de l’« État profond ». Avec, comme conséquence, une polarisation toujours plus forte de l’électorat américain et un climat de suspicion généralisé que l’on retrouvera lors des élections de 2020, avec la résurgence de la thématique du complot et de l’élection « volée ».
Le rapport Duhram
La récente publication d’un nouveau rapport supervisé par le conseiller spécial John Durham concernant le rôle joué par le FBI dans l’enquête chargée d’examiner les liens de Trump avec la Russie ne risque pas de restaurer la confiance. Ses conclusions sont en effet accablantes pour l’agence de renseignement.

Au moment de l’ouverture de l’enquête intitulée « Crossfire Hurricane », le FBI, se basant sur des informations « non évaluées en provenance d’Australie », ne disposait en réalité d’aucun renseignement « vérifié et corroboré » attestant d’une possible collusion concernant Trump ou son équipe de campagne, indique le rapport. Les agents en avaient parfaitement conscience, comme en témoignent des messages échangés à l’époque. « P… c’est mince », écrivait un responsable du FBI en août 2016. « Je sais », lui répondait un autre, « ça craint ». Ce qui n’a pas empêché le lancement d’une enquête approfondie.
Le rapport note que les enquêteurs de l’agence ont ignoré des informations susceptibles de disculper la campagne du candidat républicain et se sont maintenus dans « une forte dépendance à l’égard de pistes d’enquête fournies ou financées (directement ou indirectement) par les opposants politiques de Trump ». L’enquête n’a pas « remis en question de manière adéquate ces documents et les motivations de ceux qui les fournissaient ».
Une suggestion de partialité qui peut s’expliquer par d’autres éléments qui ressortent du rapport, et notamment les « sentiments hostiles » à l’égard de Trump de certains des principaux responsables de l’ouverture de l’enquête, comme le directeur adjoint du contre-espionnage, Peter Strzok. En juillet 2016, celui-ci avait déclaré, dans un message divulgué : « Trump est un désastre. Je n’imagine pas à quel point sa présidence serait déstabilisante. » Le mois suivant, à une collègue qui lui demandait si Trump ne risquait pas de devenir président, il avait répondu : « Non. Non, il ne va pas l’être. Nous allons l’arrêter. »
Le rapport fait également état de la différence de traitement avec la campagne de Hillary Clinton : « La rapidité et la manière dont le FBI a ouvert et enquêté […] sur la base de renseignements bruts, non analysés et non corroborés reflétaient également un écart notable par rapport à la façon dont il abordait des affaires antérieures impliquant de possibles tentatives d’ingérence électorale étrangère visant la campagne Clinton. »
Plus grave : le FBI n’avait ouvert aucune enquête lorsqu’une « source étrangère fiable » lui avait fait part d’un possible plan de l’équipe de campagne de Clinton « visant à diffamer Trump en le liant à Vladimir Poutine ».
On ne s’étonnera pas que la plupart des médias mainstream aux États-Unis se soient alors efforcés de minimiser, voire de discréditer les conclusions de ce rapport. Après tout, n’avaient-ils, pas dans leur ensemble, largement colporté ces fausses allégations ?
Frédéric LASSEZ