Premier ex-président américain à être inculpé, Donald Trump a comparu mardi devant le tribunal pénal de Manhattan. Comme on s’y attendait, il a plaidé non coupable des 34 chefs d’accusation de falsification de documents commerciaux qui reposent à présent sur trois affaires distinctes qu’on lui reproche d’avoir voulu étouffer avant l’élection de 2016.

A la star du porno, Stormy Daniels, à laquelle il aurait versé 130.000 dollars pour ne pas divulguer leurs ébats amoureux, s’ajoutent désormais un mannequin, ancienne playmate de Playboy, avec qui il aurait également fricoté, et un portier de la Trump World Tower qui lui n’a fait l’objet d’aucune proposition indécente mais qui aurait tenté de dévoiler l’existence d’un enfant caché que Trump aurait eu avec sa femme de ménage !

Avec une telle galerie de personnages, le procès « historique » décrit par les médias a surtout des airs de vaudeville new yorkais. On préfèrerait en rire s’il on n’avait pas en tête les divisions et la détérioration de la vie politique américaine qui pourraient à tout moment transformer la comédie de boulevard en tragédie antique avec son lot de drames et de violences.

Le 24 mars dernier, sur son réseau social, Trump n’hésitait pas à brandir la menace d’un potentiel de « mort et de destruction », lié à ces « fausses accusations », qui « pourrait être catastrophique pour notre pays ».

Les risques de dérapages ne sont en effet pas à écarter dans la mesure où les Américains ne voient pas dans cette affaire une simple péripétie judicaire. D’après un sondage de CNN, s’ils sont 60 % à approuver l’inculpation, ils n’en sont pas moins 76 % à considérer que la politique a joué un rôle dans la décision qui y a conduit. 52 % considérant même qu’elle a joué un rôle majeur. Ce que Trump ne cesse de proclamer.

Mardi dernier, quelques heures après son inculpation, il a de nouveau dénoncé les procès politiques dont il considère faire l’objet et s’en est pris à Alvin Bragg, un « procureur soutenu par Soros », mais aussi au juge en charge de son affaire, Juan Merchan, qu’il accuse de le « détester ». Ce dernier a en effet eu à connaître deux autres affaires de fraudes fiscales impliquant la société immobilière de Trump et son ancien directeur financier Allen Weisselberg. Sur son réseau Truth social, l’ancien président avait reproché au juge Merchan d’avoir à l’époque exercé des pressions sur Weisselberg pour le pousser à témoigner à charge en échange d’une peine fortement réduite. « Je ne pense pas que ce soit vraiment une bonne décision de la part du système judiciaire d’affecter le même juge », confiait lundi dernier à Politico un ancien procureur adjoint de Manhattan, conscient des soupçons de manipulation que cela pouvait inspirer. D’autant plus que dans ces affaires, on retrouvait également le procureur Alvin Bragg. Après la condamnation de la Trump Organization en janvier dernier, il s’était fendu d’un communiqué triomphaliste : « Aujourd’hui, les entreprises de l’ancien président Trump ont été condamnées aux amendes maximales autorisées par la loi après des condamnations historiques pour un total de dix-sept crimes délictueux ».

Par-delà ses liens avec une association wokiste, qui a financé la campagne de Bragg (la charge de procureur est élective) après avoir bénéficié d’un don d’un million de dollars de George Soros, Trump et ses partisans mettent en avant le parcours de Bragg et ses déclarations lors de sa campagne pour le poste de procureur de Manhattan. A l’époque, il s’était vanté d’avoir « poursuivi l’administration Trump plus de cent fois ». « J’ai enquêté sur Trump et ses enfants et les ai tenus responsables de leur inconduite avec la Fondation Trump », avait-t-il ajouté. En 2017 et 2018, Bragg était en effet affecté au bureau du procureur général de New York, qui avait intenté une multitude de poursuites contre l’administration Trump et sa Fondation.

Comme le notait le New York Times, lors de la course pour le poste de procureur de Manhattan en 2021, la question qui planait au-dessus des candidats, tous démocrates, était la suivante : avez-vous l’intention de poursuivre « les crimes » commis par l’ancien président ? Une question revenue « à plusieurs reprises lors de débats et de forums, signe de l’intense intérêt suscité par l’enquête Trump à Manhattan, où le président Biden a remporté 86 % des voix lors des élections de l’année dernière », observait le journal. Difficile dans ce contexte d’ignorer le risque d’une politisation de la Justice new yorkaise.

 « La loi est la même pour tous (…) qui que vous soyez », a pourtant affirmé Alvin Bragg mardi dernier, lors de sa conférence de presse.  Pas sûr cependant que ses proclamations sentencieuses suffisent aujourd’hui à convaincre de son impartialité.

D’autant plus que comme le craignaient de nombreux experts, l’édifice juridique sur lequel repose l’accusation serait des plus fragiles. Bragg veut et doit démontrer que Trump et ses conseils ont effectué les paiements et falsifié des documents commerciaux dans le but de cacher des informations préjudiciables aux électeurs lors de la présidentielle de 2016.

Pour transformer un simple délit en crime, les falsifications doivent être considérées comme ayant eu pour but de commettre un autre crime. Or, mardi, le bureau du procureur n’a même pas précisé en quoi consistait ce deuxième crime présumé. Ce dont se plaignent les avocats de la défense dans la mesure où un acte d’accusation est censé notifier à l’accusé ce dont il est… accusé ! A observer ces acrobaties juridico-judiciaires, on se demande si réellement Trump est un justiciable « comme les autres » ?

Frédéric LASSEZ

Source : Boulevard Voltaire