Auditionné, le 9 mars dernier, par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, le sénateur des Hauts-de-Seine André Gattolin se demandait pour quelle raison il était si difficile de parler du Maroc ? Le royaume chérifien ayant été mis en cause en 2021 dans l’affaire du logiciel espion Pegasus, comment se faisait-il qu’aucune commission d’enquête n’ait été mise en place ?

À l’époque, une enquête internationale à laquelle Le Monde avait participé avait pourtant accusé les services de renseignement marocains d’avoir ciblé, en France, les téléphones de journalistes, de ministres et même du Président français. Pour le sénateur Renaissance, une « réponse politique » aurait dû être apportée depuis longtemps.

Pour mieux comprendre les raisons des prudences et des silences élyséens, on conseillera à André Gattolin de commencer par observer les résultats de la politique étrangère menée par Emmanuel Macron ces dernières années.

Sa calamiteuse tournée africaine devrait lui donner un premier indicateur. Le Maghreb n’est pas, pour autant, en reste. Le Président « disruptif » est parvenu à nous fâcher avec à peu près tout le monde. Début février, le ministère des Affaires étrangères marocain annonçait qu’il était mis fin aux fonctions de son ambassadeur sans qu’aucun successeur ne soit désigné. Il n’était pas le seul à faire ses valises. Quelques jours plus tard, c’était au tour de l’ambassadeur algérien, rappelé « pour consultations ». Si les raisons invoquées ou supposées différaient d’un pays à l’autre, elles témoignaient néanmoins d’une dégradation continue des relations alimentée par une politique macronienne hasardeuse dont les « en même temps » semblent finir par lasser.

Le 27 février dernier, le Président français pérorait en son palais à la veille de son déplacement en Afrique. Il était question de « co-construction », de « nouvelle ambition », de « nouveau partenariat », autant de formules creuses dont se délecte Emmanuel Macron. Interrogé, par la suite, sur ses relations conflictuelles avec le Maroc et l’Algérie, le Président avait répondu aux journalistes qu’il fallait aller au-delà des polémiques et qu’il savait pouvoir compter à la fois sur « l’amitié et l’engagement » du président algérien, mais aussi sur ses « relations personnelles » avec le roi du Maroc qu’il qualifiait d’« amicales ».

La réponse de Rabat aux effusions macroniennes avait été des plus glaciales : « Les relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée », avait affirmé une source officielle au sein du gouvernement marocain, citée par Jeune Afrique. Un camouflet diplomatique qui en disait long.

Les relations s’étaient en effet fortement dégradées à la suite du vote au Parlement européen, en janvier dernier, d’une résolution sur la liberté de la presse qui enjoignait les autorités marocaines à « respecter la liberté d’expression et la liberté des médias ». Avaient été également évoquées les « allégations selon lesquelles les autorités marocaines auraient corrompu des députés au Parlement européen ». Selon la source gouvernementale marocaine citée par Jeune Afrique, ce vote n’aurait pas pu passer « sans la mobilisation active du groupe Renew dominé par la majorité présidentielle française ».

Autre source de frictions, avec l’Algérie également, le durcissement des conditions d’obtention des visas décidé en septembre 2021 pour pousser Alger et Rabat à accepter enfin d’accueillir leurs ressortissants expulsés de France. Une politique abandonnée en rase campagne en décembre dernier pour tenter de réchauffer les relations. Et surtout un aveu de faiblesse.

Le manque de fermeté et les hésitations du Président français ne s’expliquent pas seulement par son caractère versatile. Ils s’enracinent aussi dans deux changements majeurs qui affectent désormais notre politique étrangère.

Le premier est lié à l’immigration de masse. « La France est sans doute le pays du monde où il y a le plus de diasporas maghrébines »déclarait le Président aux journalistes, le 27 février dernier. Le terme de « diaspora » est tout sauf neutre. Il renvoie à l’idée d’un lien maintenu avec la communauté d’origine. Le communautarisme soft encouragé par Emmanuel Macron permet à de nombreux pays comme l’Algérie, la Turquie ou le Maroc d’exercer une influence sur leurs « diasporas » pour faire avancer leurs intérêts.

Dans son discours, le Président indiquait également, à propos du continent africain, qu’il était désormais une « terre de compétition »« Regardez, ajoutait-il, certains arrivent avec leur armée ou leurs mercenaires ici et là », désignant de façon à peine voilée la Russie qui, avec la Chine, profite de nos incohérences et des effets désastreux d’une diplomatie qui prétend juger les pays et les relations internationales à l’aune d’une idéologie moralisatrice et donneuse de leçons.

S’il est devenu « si difficile de parler du Maroc » mais aussi, plus largement, du Maghreb pour évoquer les questions d’espionnage, d’entrisme ou de visas, c’est surtout parce que la France est devenue à la fois un pays sous influence communautaire à l’intérieur de ses frontières et en perte d’influence et de puissance dans un monde qui se désoccidentalise.

Frédéric LASSEZ

Source : Boulevard Voltaire