Le 14 novembre dernier, à Bali en Indonésie, Joe Biden rencontrait pour la première fois son homologue chinois, Xi Jinping. Après des mois de tensions diplomatiques et militaires au sujet de Taïwan, l’heure semblait à la détente. « Je crois absolument qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une nouvelle guerre froide »avait alors déclaré le président américain.

Ce à quoi Xi Jinping avait répondu, pour aller dans le même sens, que jamais la Chine n’avait cherché à modifier l’ordre international et qu’elle n’avait en aucun cas l’intention de défier ou de remplacer les États-Unis. On pouvait donc oublier le « piège de Thucydide » que Graham T. Allison avait évoqué dans son célèbre essai pour décrire le risque de conflit provoqué par la rivalité entre une puissance ascendante et une puissance déclinante. En réalité, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Les deux parties en convenaient d’ailleurs, il fallait « privilégier le dialogue à la confrontation ». Et pour s’en convaincre, on annonçait déjà la venue en Chine du secrétaire d’État américain Antony J. Blinken, début 2023.

Il aura pourtant suffi d’un mystérieux ballon chinois survolant l’espace aérien américain pour que revienne au galop le langage de la confrontation et de l’invective. Le 2 février dernier, le Pentagone annonçait suivre les déplacements d’un ballon lancé par la Chine et se déplaçant à haute altitude dans le ciel du Montana. Pour les Américains, à n’en pas douter, il s’agissait d’une affaire d’espionnage. « Clairement, ce ballon est destiné à la surveillance et sa trajectoire actuelle l’amène au-dessus de sites sensibles », affirmait le porte-parole du Pentagone Pat Ryder. (Le Figaro)

Le lendemain, Pékin contestait fermement cette version et prétendait que ledit ballon était en réalité un inoffensif dirigeable destiné à des fins météorologiques qui s’était égaré. Peu convaincue et soumise aux pressions des républicains l’accusant de mollesse, l’administration Biden l’avait finalement fait abattre par un avion de chasse, samedi dernier. Le ballon chinois finissait donc son voyage au fond de l’océan Atlantique.

Conséquence d’une séquence qui ressemblait à un mauvais James Bond, le secrétaire d’État américain Antony Blinken annonçait, le même jour, annuler son voyage prévu à Pékin dimanche et lundi. Au cours d’une conférence de presse, il dénonçait une « violation manifeste de la souveraineté américaine et du droit international » qui se révélait préjudiciable aux discussions de fond que les deux pays s’apprêtaient à avoir.

Signe d’une nouvelle crise diplomatique, le vice-ministre des Affaires étrangères, Xie Feng, adoptait alors un ton plus offensif : « Les actions américaines ont gravement affecté et endommagé les efforts et progrès des deux parties pour stabiliser les relations sino-américaines depuis la rencontre de Bali entre les présidents Joe Biden et Xi Jinping en novembre », déclarait-il, lundi, dans un communiqué.

En réalité, il n’avait pas été nécessaire d’attendre l’apparition du « ballon espion » pour constater que, derrière les proclamations vertueuses et les appels au dialogue de ces derniers mois, c’était plutôt à la poursuite de l’escalade que l’on avait assisté. Malgré les apparences, le cliquetis des armes se faisait entendre d’une manière de plus en plus plus sonore.

Le 2 février dernier, alors que les Américains scrutaient le ciel en quête du mystérieux dirigeable, à Manille, Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, avait annoncé que les États-Unis augmentaient leur présence militaire aux Philippines. Comme le reconnaissait alors le New York Times, cette déclaration, qui intervenait juste avant la visite prévue d’Antony Blinken, avait de fortes chances d’être interprétée par les dirigeants chinois comme le signe que la principale priorité des États-Unis dans la région était de renforcer leurs alliances pour contenir la Chine plutôt que de stabiliser leurs relations avec Pékin.

Et, en effet, la réaction chinoise ne s’était pas fait attendre : « La partie américaine, par intérêt égoïste, s’en tient à la mentalité du jeu à somme nulle et continue de renforcer le déploiement militaire en Asie-Pacifique »déclarait, le même jour, Mao Ning, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois.

Quelques jours auparavant, une autre polémique avait éclaté après la divulgation d’une note de service d’un général de l’US Air Force, Michael Minihan, chef de l’Air Mobility Command (50.000 militaires et environ 500 avions), dans laquelle il prédisait que la Chine envahirait Taïwan dans deux ans et incitait les personnels sous sa responsabilité à intensifier leurs préparatifs au combat.

Des révélations qui rappelaient les récentes déclarations au Financial Times du lieutenant-général James Bierman, plus haut gradé du corps des Marines des États-Unis au Japon, le 9 janvier dernier. Celui-ci expliquait alors que l’armée américaine et ses alliés, prenant modèle sur la formation militaire de l’Ukraine à partir de 2014, préparaient désormais au Japon, aux Philippines et « dans d’autres endroits », le « théâtre » d’une guerre avec la Chine.

Quelques signes parmi beaucoup d’autres qui confirmaient que, ballon espion ou pas, le piège de Thucydide, loin de s’éloigner, se dessinait de plus en plus nettement à l’horizon.

Frédéric LASSEZ

Source : Boulevard Voltaire