Le 12 septembre 2006, l’ancien professeur de théologie Joseph Ratzinger, devenu pape un peu plus d’un an auparavant sous le nom de Benoît XVI, retrouvait l’université bavaroise de Ratisbonne, au sein de laquelle il avait enseigné, pour y prononcer un discours consacré aux rapports entre la foi et la raison.

Face à un parterre de prélats, de professeurs et d’étudiants, le Saint Père avait commencé par évoquer avec émotion ses souvenirs d’enseignant avant de s’engager sur la pente ardue d’une réflexion sur l’articulation entre ces deux notions que Jean Paul II avait, lui aussi, fait dialoguer dans une encyclique intitulée « Fides et ratio », publiée en 1998. « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité », avait écrit le pape polonais qui lui aussi avait enseigné à l’université.

Dans l’enceinte du grand amphithéâtre de l’Université de Ratisbonne, Benoît XVI semblait reprendre les mêmes chemins que son prédécesseur lorsqu’il évoquait la nécessité de s’interroger sur Dieu « au moyen de la raison et de le faire en relation avec la tradition de la foi chrétienne ».

Il avait cependant très vite bifurqué pour emprunter une voie surprenante. Evoquant sa lecture récente d’un dialogue qui avait eu lieu au quatorzième siècle entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un érudit perse, il disait avoir été « fasciné » par un passage consacré au thème de la guerre sainte, le « djihad », dont il souhaitait se servir comme point de départ à sa réflexion.

« Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l’inhumain comme ceci, qu’il a prescrit de répandre par l’épée la foi qu’il prêchait », avait déclaré l‘empereur à son interlocuteur avant d’expliquer pourquoi la diffusion de la foi par la violence était contraire à la raison. Or, « ne pas agir selon la raison [était] contraire à la nature de Dieu », avait ajouté l’empereur. Pour Benoît XVI, la question du rapport entre religion et violence devait permettre d’insister sur la nécessaire concordance entre foi et raison. Le problème était qu’il avait choisi l’Islam pour illustrer son propos.

Ce qui ne devait être qu’un temps d’intense échange intellectuel s’était alors transformé en un scandale diplomatique et médiatique planétaire. Nonces apostoliques convoqués, dignitaires musulmans offusqués, manifestations, églises attaquées en Cisjordanie, à Gaza ou en Irak, la polémique avait déchaîné les passions et la violence malgré les tentatives du Vatican et du pape lui-même d’éteindre l’incendie.

En Occident, les médias s’étaient tout autant enflammés. Dans un éditorial, le New York Times avait fustigé ce pape qui fomentait « la discorde entre chrétiens et musulmans ». Ne s’était-il pas d’ailleurs, par le passé, opposé à l’entrée de la Turquie en Europe ? Et sa plus grande peur n’était-elle pas de voir s’effacer une « identité catholique uniforme » ?

Certainement pas la meilleure façon d’engager un dialogue interreligieux, notait le journal américain qui concluait son sermon par une demande d’excuses « profondes et convaincantes, démontrant que les mots aussi peuvent guérir ».

La repentance était déjà à la mode. Il était parfaitement normal d’exiger de l’Église catholique qu’elle fasse constamment son examen de conscience et confesse publiquement ses péchés mais pas question d’interroger le monde musulman sur son propre rapport à la violence. Ce n’était d’ailleurs pas le propos de Benoît XVI à ce moment-là, mais on ne peut s’empêcher de penser, seize ans plus tard, que ce qui avait été par la suite présenté comme un « dérapage » involontaire procédait, peut-être, d’une inspiration prophétique. Le pape n’avait-il pas dit avoir été « fasciné » par le passage polémique qui évoquait le jihad ?

L’explosion d’un terrorisme perpétré au nom de l’Islam, particulièrement en Europe dans les années 2010, devait malheureusement confirmer ses craintes. Un an avant son discours de Ratisbonne, en août 2005, il s’était rendu à Cologne à l’occasion des journées mondiales de la jeunesse. Il y avait rencontré des représentants de diverses communautés musulmanes auprès desquelles il avait témoigné de sa volonté de dialogue mais sans renoncer à partager ses craintes quant au développement du terrorisme. Benoît XVI avait foi en un Dieu de paix mais sans naïveté. La suite a confirmé qu’il avait bien raison.

Frédéric LASSEZ

Source : Boulevard Voltaire