Face à la gravité de la crise migratoire à laquelle son État est confronté, le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, a trouvé un moyen radical de se rappeler aux bons souvenirs de l’administration Biden dont il ne cesse de dénoncer l’inaction : envoyer des bus de migrants à Washington devant le domicile du vice-président, Kamala Harris, le soir du réveillon.

Un « cadeau de Noël » assez peu apprécié par la Maison-Blanche, qui a immédiatement accusé le gouverneur de mettre des vies en danger. Ce n’est, en réalité, pas la première fois que Greg Abbott recourt à cette pratique afin d’alerter politiques et médias sur une situation qu’il juge dramatique, liée à la pression migratoire considérable qui sévit à la frontière mexicaine. Depuis avril dernier, des milliers de migrants ont ainsi été envoyés par bus vers Washington, mais aussi vers d’autres villes contrôlées par des démocrates comme New York, Chicago ou Philadelphie.

Le 20 décembre dernier, Greg Abbott avait également écrit au président Biden afin que le gouvernement fédéral prenne ses responsabilités : « Avec les températures basses qui sévissent au Texas, votre inaction pour sécuriser la frontière sud met la vie des migrants en danger, en particulier dans la ville d’El Paso. » Le gouverneur ajoutait que face aux milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui traversaient illégalement chaque jour, le Texas était confronté à une situation catastrophique qui risquait d’empirer avec la fin d’un dispositif baptisé « Titre 42 ».

En mars 2020, dans le cadre de la pandémie de Covid-19, Donald Trump avait en effet mis en place une mesure, toujours en vigueur, qui rendait possible l’expulsion sans délai des migrants dépourvus de titre de séjour interpellés aux frontières terrestres. Une violation « inhumaine » des lois internationales pour la gauche américaine et les ONG, notamment parce que le dispositif s’appliquait à de potentiels demandeurs d’asile.

Soutenu par les responsables républicains de 19 États, dont l’Arizona et le Texas, le « Titre 42 » est actuellement au cœur d’une bataille judiciaire qui vient de connaître un nouveau rebondissement, le 27 décembre dernier, avec la décision de la Cour suprême de le maintenir temporairement, malgré le souhait du gouvernement Biden d’y mettre fin.

Karine Jean-Pierre, l’attachée de presse de la Maison-Blanche, a déclaré que l’administration se conformerait à la décision de la Cour suprême, tout en ajoutant que le « Titre 42 » était une mesure de santé publique qui n’avait pas vocation à être prolongée indéfiniment.

En réalité, ce résultat semblait arranger l’administration Biden, tiraillée entre ses promesses électorales de bâtir un système migratoire « juste et humain » et la réalité d’une situation de plus en plus incontrôlable. Depuis sa mise en place en 2020, on estime, en effet, que le « Titre 42 » a été utilisé environ 2,5 millions de fois.

Dans le New York Times du 27 décembre dernier, le professeur Justin Gest, spécialiste des questions d’immigration, reconnaissait que la décision avait sans doute apporté un sentiment de soulagement à Washington dans la mesure où l’administration avait demandé l’arrêt du dispositif, mais sans avoir de plan clair sur la façon de gérer les conséquences d’un afflux inévitable de migrants.

Début novembre, alors que les élections de mi-mandat approchaient, le correspondant du Monde à Washington s’inquiétait déjà de voir le Parti démocrate « empêtré dans le piège de l’immigration ». L’administration Biden avait préféré se consacrer à d’autres priorités et elle ne parvenait pas à opposer « un récit positif » sur l’immigration à la « théorie raciste du Grand Remplacement » qui se répandait « comme un virus » dans les rangs des partisans de Donald Trump.

Au même moment, une enquête était parue dans le Washington Post expliquant que pour la première fois dans l’Histoire américaine moderne, la plupart des Blancs vivaient dans des « quartiers métissés ». Alors qu’en 1990, 78 % des Blancs vivaient dans des quartiers à prédominance blanche, ils n’étaient plus désormais que 44 %. Une tendance qui allait se renforcer dans les années à venir car les « minorités » augmentaient plus rapidement que les Blancs dans la plupart des régions du pays. Un recensement de 2020 avait montré que, pour la première fois, elles représentaient plus de la moitié de la population des moins de 18 ans.

Des changements démographiques majeurs qui, comme en Europe, ne relèvent manifestement pas de théories conspirationnistes d’extrême droite.

Frédéric LASSEZ

Source : Boulevard Voltaire