Tout est une question de nuances. « Il ne faut pas confondre maintien de la communauté et communautarisme », explique Hakim El Karoui, auteur d’un rapport de 324 pages pour l’Institut Montaigne dans lequel il fait la promotion d’une intégration par la « communauté » plutôt que par l’assimilation.

Problème, comme le révèle Libération pour s’en désoler : son étude n’a toujours pas été publiée alors que sa sortie était prévue en septembre 2022. Pour le journal bien-pensant, la faute en revient au président du think tank libéral, Henri de Castries, décrit comme « filloniste » et proche de Vincent Bolloré, ce qui suffit à le disqualifier et à lui supposer les desseins les plus sombres.

À l’inverse, Hakim El Karoui semble cocher toutes les cases du politiquement correct aux yeux de Libération : d’origine tunisienne, musulman, normalien, ex-banquier d’affaires chez Rothschild et spécialiste du monde arabe et de l’islam. Le journal lui avait consacré un long portrait, en mars 2018, dans lequel il était présenté comme « celui qui murmure à l’oreille d’Emmanuel Macron des pistes pour sa politique sur la laïcité ». Il est vrai que les réflexions d’Hakim El Karoui sur le « maintien de la communauté » semblent rejoindre celles du Président lorsqu’il évoque le rôle nécessaire des « diasporas ».

Libération ayant eu le privilège d’accéder au rapport non divulgué, il faut s’en remettre aux quelques citations présentées dans son article pour en savoir plus sur les analyses d’Hakim El Karoui. En résumé, l’idée serait la suivante : pour favoriser une bonne intégration, il convient de maintenir un « encadrement communautaire », car « la communauté est une ressource pour les immigrés et leurs enfants », un « filet de sécurité ». À l’inverse, il faut se libérer d’une approche qui conçoit l’intégration comme « un processus dont l’objectif est la rupture totale avec la culture et la communauté d’origine pour embrasser les us et coutumes de la société française ».

Rien, là, de très nouveau, en réalité. Remplacez « communauté » par « diaspora » et vous retrouverez une antienne macronienne entonnée à foison et censée attirer dans le giron présidentiel des minorités de moins en moins minoritaires. Dans L’Express, en décembre 2020, le Président développait les mêmes arguments : « Dans notre Code civil figure encore cette notion très problématique d’assimilation. Elle ne correspond plus à ce que nous voulons faire. » Emmanuel Macron ajoutait que chacun devait « pouvoir vivre entre plusieurs horizons culturels » et qu’il fallait, pour cela, « reconnaître la richesse de nos diasporas pour nous-mêmes ».

Dans le viseur, d’Hakim El Karoui comme d’Emmanuel Macron, l’assimilation considérée comme incompatible avec une France devenue « plurielle ». L’un comme l’autre sont représentatifs de ces élites progressistes libérales qui pensent trouver dans le modèle anglo-saxon multiculturaliste les bonnes recettes pour faire advenir une France réconciliée s’épanouissant dans les joies du « vivre ensemble ».

En février dernier, l’Institut Montaigne s’était donné beaucoup de mal, à l’occasion d’un autre rapport consacré aux 18-24 ans, pour faire croire que le pays était engagé sur le chemin du bonheur diversitaire. Une analyse approfondie de l’étude intitulée « Une jeunesse plurielle » révélait en réalité une France fracturée avec, sur certains de ses territoires, le développement d’une contre-société extrémiste et violente.

Or, c’est justement ici que se noue toute la spéciosité du raisonnement de ceux qui, à l’image d’Emmanuel Macron ou d’Hakim El Karoui, font l’apologie d’un communautarisme soft. L’argument est le suivant : si vous voulez éviter le séparatisme et la radicalisation, acceptez de faire des « accommodements raisonnables ».

En octobre 2016, quelques mois après l’attentat islamiste de Nice et l’assassinat du père Hamel, Macron, dans Marianne, dénonçait les dangers d’une « laïcité revancharde ». Il indiquait alors être « contre l’interdiction du voile à l’université », parce qu’une telle décision aurait pour conséquence de « sortir des citoyens des lieux de la République » et de « les confiner à l’écart ». Il fallait donc comprendre qu’en réalité, c’était la République, du fait de son intransigeance, qui pratiquait le séparatisme.

Finalement, de la « France créolisée » de Jean-Luc Mélenchon à la « France plurielle » d’Emmanuel Macron, la solution est simple. La meilleure façon d’intégrer les nouveaux venus, c’est de désintégrer la France.

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire