Il faudra désormais s’y faire, le « Grand Remplacement » est devenu la martingale du candidat de droite à la peine. Pour se relancer à deux mois des élections présidentielles, Valérie Pécresse avait utilisé la formule maudite lors d’un discours à Paris, déchaînant alors l’ire de la bien-pensance politico-médiatique. Le Rubicon avait été franchi et la candidate LR basculait du côté obscur de l’extrême droite radicale et complotiste.

Quelques mois plus tard, c’est un autre candidat de droite en difficulté qui, dans une tribune au journal L’Opinion, s’empare du concept pour, à son tour, se relancer et se démarquer. Lancé dans la course à la présidence du RN face à Jordan Bardella, Louis Aliot se sait en effet largement distancé. Au mois de septembre, Les Échos publiait un sondage montrant que 65 % des sympathisants du parti avait une bonne image du jeune eurodéputé, contre 34 % pour le maire de Perpignan.

À défaut de parvenir à inverser les courbes, il fallait donc renverser la table pour exister à nouveau et ne pas sombrer dans l’indifférence médiatique. Sur ce point, l’opération a parfaitement réussi. Il faut dire que la charge de Louis Aliot ne fait pas dans la nuance. Une stratégie de clivage au sein de son propre camp. « Les Français ont condamné électoralement la ligne inquiétante portée par les adeptes les plus déterminés du « Grand Remplacement ». C’est une marotte qui transforme ses ambassadeurs en Sandrine Rousseau de droite », écrit le maire de Perpignan.

Louis Aliot, dans cette séquence, franchit le Rubicon en sens inverse de Valérie Pécresse pour tenter de sortir enfin du camp des réprouvés. Les médias reprennent avec bonheur son appel à un Bad Godesberg de la droite nationale qui permettrait de rompre définitivement avec une « histoire tumultueuse et ambiguë » dans laquelle continuent à se complaire des « identitaristes » nostalgiques « d’une France qui n’existe plus ». Louis Aliot prône plus de « générosité » et d’« ouverture sur le monde » car il faut parler aux Français « de toutes origines et de toutes religions » et s’élancer vers une « modernité pragmatique respectueuse des mémoires de chacun au bénéfice de tous ». C’est beau comme du Macron.

On l’aura compris, il s’agit bien entendu de « zemmouriser » Jordan Bardella en recréant au sein du RN le clivage qui avait si bien fonctionné contre Reconquête lors de la présidentielle. On peut cependant soupçonner Louis Aliot de viser, à travers cette opération, bien au-delà de la présidence du RN qu’il doit savoir déjà perdue. Sachant que cette tribune ne risque pas de renforcer sa position au sein du parti, c’est donc l’échéance de 2027 qui en est bien plus sûrement la motivation.

En cherchant à marginaliser Jordan Bardella après Eric Zemmour, tous deux rejetés dans le camp de la « radicalité », Aliot semble désireux de s’imposer progressivement comme le candidat naturel de la droite, à même de rassembler une large majorité. Et, surtout, d’en obtenir les mêmes bénéfices vis-à-vis des médias : comme Éric Zemmour lors de la présidentielle 2022, le jeune chef du RN concentrera ainsi sur lui toutes les attaques à venir pendant que Louis Aliot, tout comme Marine Le Pen à l’époque, bénéficiera d’un micro-climat médiatique apaisé.

Une stratégie qui s’oppose frontalement aux demandes de Marine Le Pen. En septembre dernier, interrogée sur les candidats à sa succession lors d’un entretien accordé à Ouest-France, elle déclarait : « Les deux candidats se respectent, s’apprécient. Ils sont extrêmement conscients que l’unité de notre mouvement est un élément essentiel de notre victoire future. Nous n’avons pas le droit de tomber dans des divisions stériles. Tous deux sont sur la même ligne politique. » Nous en sommes désormais bien loin.

En réalité, cette séquence illustre les limites du processus de « normalisation ». En juillet dernier, nous évoquions le danger du « Grand Refoulement » qui risquait, malgré la victoire du RN aux législatives, de maintenir la censure sur les trois grands tabous : insécurité, islam, immigration. Comment sortir du piège qui interdit d’évoquer ces thèmes sous peine de basculer à nouveau dans le camp des réprouvés ? On ne sait pas si le RN y parviendra. En attendant, ce sont les Français les premiers perdants de ces polémiques car, qu’on le veuille ou non, c’est avant tout la réalité qui s’impose à eux qui est « radicale ». Et on ne pourra indéfiniment l’esquiver.

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire