On connaît la formule : « Nommer un problème, c’est commencer à le résoudre. » Encore faudrait-il comprendre qu’en ce qui concerne la vie politique, l’objectif semble bien souvent consister non pas à résoudre des problèmes mais à faire croire qu’ils n’existent pas.

Prenez l’insécurité. Les médias le répètent, il n’y a pas de « problème », il y a un « sentiment » alimenté par les chaînes d’info et une extrême droite phobique. La guerre des mots est au cœur du combat politique et idéologique. Dans l’espace médiatique, les mots choisis ont souvent pour fonction de recouvrir le réel qu’ils sont censés désigner afin d’en modifier notre perception.

En juin dernier, BV dénonçait le silence entourant la mort d’Alban Gervaise, médecin militaire égorgé devant ses enfants. Comment convenait-il de qualifier l’auteur qui, d’après les services de police, s’était écrié, au moment des faits, « Allah Akbar » ? S’agissait-il d’un « déséquilibré » ou d’un « « terroriste islamiste » ?

Encore et toujours la guerre des mots. Et, bien entendu, au nom des intentions les plus nobles : ne pas « stigmatiser », ne pas alimenter un « climat de haine ». Pas de politique sans rhétorique ni sémantique. La « langue des médias », pour reprendre la formule d’Ingrid Riocreux, agrégée de littérature moderne et spécialisée dans la rhétorique des médias, illustre quotidiennement ce processus de déconstruction/reconstruction du réel à partir de la manipulation du langage.

Le sujet de la violence est emblématique de cette dénaturation. Cependant, même si, dans Libération, on continue à expliquer doctement que « la délinquance est stable depuis trente ans », le réel finit par déborder de toute part, rendant de moins en moins possibles les attitudes de déni.

Dans une enquête consacrée au « déchaînement de violence » qui s’est abattu récemment sur la ville de Nantes, l’hebdomadaire Marianne, le 8 octobre dernier, donnait la parole à un syndicaliste policier qui reconnaissait qu’un seuil avait été franchi et que les habitants se demandaient qui allait les protéger. Ce seuil, ce n’est pas seulement à Nantes mais dans toute la France qu’il a été franchi. Nice, Grenoble, Lyon, Bordeaux, Marseille, Paris, mais aussi les villes moyennes et, désormais, les communes rurales.

Or, cette évolution n’est pas seulement une affaire de chiffres. Derrières la multitude d’agressions individuelles et de violences collectives, une autre réalité se cache, bien plus inquiétante : celle de la montée en puissance d’une criminalité organisée qui étend son emprise sur des territoires de plus en plus nombreux.

Le 2 octobre dernier, Le Journal du dimanche publiait une enquête sur les villes moyennes rongées par le trafic de drogue. « Les narcos régionaux tissent leur toile », constatait le journal qui décrivait une « dérive à la marseillaise » sur des terres autrefois préservées.

On aurait cependant tort de réduire ces phénomènes à la seule problématique de la délinquance, car ces territoires font l’objet, parallèlement, d’une volonté de prise de contrôle idéologique par l’islam salafiste et frériste. C’est cette hybridation entre islamisme et criminalité organisée, démontrée dans les grandes affaires de terrorisme, qui donne à ces phénomènes un caractère profondément politique.

Les citadelles narco-communautaristes, pudiquement qualifiées de « quartiers sensibles », ne sont pas des « zones de non-droit » mais des espaces soumis à une normativité concurrente de celle de l’État. L’ordre public, les aides sociales, le règlement des conflits voire le prélèvement de l’impôt, sont assumés par de nouveaux acteurs qui s’emploient à prendre la place des services de l’Etat.

C’est dans cette perspective qu’il faut appréhender les « violences urbaines » qui ciblent à la fois la police, les pompiers ou même les médecins. Une stratégie d’enclavement encouragée à la fois par les réseaux criminels et le communautarisme islamiste. Ce « séparatisme » s’accompagne, dans le même temps, d’une dynamique conquérante qui se projette vers de nouveaux espaces : l’école, le sport, l’entreprise font l’objet d’offensives continues pour imposer un nouvel ordre et faire céder l’Etat ou des organismes privés.

Les élus aussi sont mis sous pression comme le rappelle la récente affaire de l’adjoint au maire socialiste des Mureaux, Boris Venon, victime de menaces de mort et qui s’est entendu dire : « Le blanc quitte ma ville, on est chez nous ici ».

Comment nommer cette situation ? Ce n’est plus la paix, ce n’est pas encore une confrontation généralisée. Une « guerre civile froide ».

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire