Comment savoir ce qui se passe réellement en Ukraine ? Quelles sont les intentions de Vladimir Poutine ? Quels sont les objectifs des Américains ? Bien difficile d’y voir clair alors que l’on agite au-dessus de nous la menace d’une conflagration nucléaire.

Il y a, pour commencer, le « brouillard de guerre » clausewitzien qui renvoie à l’incertitude des belligérants eux-mêmes face aux intentions, positions et capacités de leur adversaire. Mais il y a surtout les nuages de fumée de la guerre de l’information destinés à masquer ou déformer la réalité. Les opinions publiques constituent, en effet, un enjeu prioritaire, notamment pour Kiev qui dépend du bon vouloir des Occidentaux.

La présentation de la contre-offensive qui a débuté fin août en est un exemple. Les gains territoriaux obtenus à l’est par les Ukrainiens, dans la région de Kharkov, ont masqué l’absence de résultats significatifs dans le sud, dans la région de Kherson. Le « narratif », repris en boucle par nos médias, était pourtant celui d’une armée ukrainienne ayant repris l’initiative et bousculant une armée russe en déroute. Dans les colonnes de Libération, le 11 septembre dernier, l’historien et ancien officier Michel Goya pointait les « faiblesses criantes » et la « débâcle » de l’armée russe » et ouvrait la perspective d’une « reprise totale du territoire » par Kiev.

Il faut bien comprendre que sans cette perspective, il deviendrait difficile de continuer à justifier le maintien d’une aide occidentale massive et la poursuite de la guerre. Raison pour laquelle une victoire tactique audacieuse a été présentée comme le signe indubitable d’une victoire stratégique à venir.

Cette contre-offensive, jusqu’à preuve du contraire, a surtout, une nouvelle fois, témoigné des limites de chaque adversaire. Du côté de Kharkov, les gains territoriaux de Kiev ont surtout révélé le manque d’effectifs russes et leur incapacité à tenir la totalité de la ligne de front. Dans le même temps, les Russes ont aussi démontré leur capacité à se repositionner et à contenir l’élan ukrainien. Il fallait donc nuancer l’idée de « débâcle ».

Du côté de Kherson, là où les Russes s’étaient regroupés, les Ukrainiens se sont heurtés à une forte résistance et ils n’ont pas réussi à obtenir de succès équivalent. La presse américaine a été beaucoup plus objective sur la réalité de la situation. Le Washington Post, le 7 septembre dernier, évoquait « le lourd bilan de l’offensive » et recueillait des témoignages de soldats ukrainiens qui reconnaissaient ne pas avoir l’artillerie nécessaire pour déloger les forces russes retranchées et le « fossé technologique béant avec leurs adversaires mieux équipés ». Il fallait donc, là encore, ne pas vendre trop vite la peau de l’ours russe.

Trois semaines plus tard, Kiev tente de reprendre Lyman, à l’extrémité ouest du Donbass, alors que les Russes menacent de s’emparer de la ville de Bakhmout. « Les troupes ukrainiennes retranchées autour de la ville sont épuisées et sont attaquées de l’est et du sud. Elles ont subi un flux constant de victimes et de pertes de véhicules », indiquait le New York Times, le 26 septembre dernier, qui observait, au même moment, l’arrivée de renforts russes.

Nous voilà bien loin du récit qui nous est assené depuis plusieurs semaines. Mais c’est justement cette incapacité des belligérants à faire la différence qui rend la situation extrêmement dangereuse. Paradoxalement, on peut penser que le récent succès ukrainien a été à la fois un très gros problème pour Vladimir Poutine et une formidable opportunité. Le choc psychologique de la population a permis de faire monter d’un cran l’engagement russe en débloquant la difficulté initiale du manque d’effectifs avec la mobilisation partielle.

Du côté de Kiev, le succès a également été utilisé pour tenter de monter d’un cran en s’efforçant de convaincre les Américains d’aller plus loin dans leur engagement en fournissant des armes de longue portée susceptibles d’atteindre le territoire russe en profondeur.

C’est à partir de ce contexte qu’il faut relire la séquence sur la menace nucléaire russe. Le « narratif » médiatique nous présente un Vladimir Poutine acculé et, poussé au désespoir, prêt à jeter une bombe atomique sur le premier venu. La réalité est, probablement, plus complexe. Les Russes ont surtout lancé un avertissement aux Américains. Les armes de longue portée constituent pour eux une ligne rouge. « Nous essayons d’éviter la Troisième Guerre mondiale », rappellerait souvent Joe Biden à ses collaborateurs, d’après le New York Times. Jusqu’à quand ?

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire