Heureux celui par qui le scandale arrive. Au royaume des Insoumis, il sera récompensé. Pour cela, un impératif : faire le buzz, faire le show, trouver la punchline ou provoquer le clash qui va enflammer la Toile.

Les députés LFI ne ménagent pas leurs efforts car l’Hémicycle, expliquait Libération le 4 août dernier, est devenu un théâtre permanent qui « sert de décor à une bataille de communication où tous les coups sont permis entre les groupes, bien conscients que chaque image compte ». Une bataille d’image pour différencier son offre de celle de ses concurrents. La politique est, en effet, devenue un produit de consommation comme un autre. C’est pourquoi LFI travaille sa relation client, car c’est celui qui saura se démarquer en trouvant le bon positionnement marketing qui l’emportera.

Il ne faut donc pas se fier aux apparences, l’Insoumis n’est pas un bolchevik. Bien au contraire, c’est un très bon vendeur qui a parfaitement intégré les règles du marché. Et là est justement son problème. Le gauchiste s’est embourgeoisé. Terminé, la révolution, les lendemains qui chantent et les « élections piège à cons ». De nos jours, il s’est converti au parlementarisme, aux bureaux lambrissés et aux ors du pouvoir. Bref, un notable. Il lui faut donc travailler son image pour maintenir, aux yeux de son électorat, le mythe du contestataire de l’ordre établi.

La députée LFI Clémentine Autain posait le problème dans la revue Regards, le 3 mai dernier : « Les institutions agissent comme un aspirateur à énergie : en cas d’arrivée au pouvoir de l’Union populaire ou même de constitution d’un groupe parlementaire conséquent, le risque existe de voir cette force de rupture se normaliser et se dévitaliser. » Une position d’équilibriste pour continuer à goûter aux privilèges du système, assis confortablement sur les bancs moelleux du palais Bourbon, tout en incarnant la « rupture ». Ayant bien retenu ses leçons de marketing, l’Insoumis sait cependant qu’« en politique, la perception est la réalité ». Ce qui compte, c’est l’image que va se faire de lui son électorat cible. Clémentine Autain a alors longuement réfléchi avec ses camarades et est arrivée à la conclusion suivante : il faut « en finir avec une gauche aseptisée et normalisée. Une gauche qui, depuis des décennies, court après une forme de respectabilité ». Ne surtout pas être assimilé à cette ancienne « gauche de gouvernement » sinon, c’est la faillite garantie.

Il va donc falloir donner l’image opposée. Le plan com’, c’est la posture du braillard débraillé : « L’esprit critique et l’irrévérence font partie intégrante d’un profil délibérément non policé. Cette posture se retrouve symboliquement dans la décision de ne pas respecter le port de la cravate dans l’Hémicycle en arrivant à l’Assemblée […]. Elle dit que la contestation ne se fait pas dans un dîner de gala : à gauche, nous avons vocation à détonner, à trancher, à choquer. » La gauche, la vraie. Celle qui provoque le bourgeois. Une image de marque qui va plaire aux déclassés, aux racisés et aux bobos à vélo écolos.

Prenez le jeune député LFI Louis Boyard. À peine 21 ans et déjà une parfaite maîtrise des codes de la com’ et du marketing. Il a su très vite faire le buzz le jour du vote pour la présidence de l’Assemblée avec son refus de serrer la main du porte-parole du RN. Un pro du storytelling, également, qui sait faire pleurer dans les chaumières en racontant son histoire de fils de cheminot révolté face aux injustices. Le journal Le Monde lui avait consacré un portrait, le 6 juillet dernier. Il témoignait de sa condition tragique qu’il décrivait dans des termes poignants : « Je suis comme beaucoup de gens, l’école, c’était pas un truc qui me plaisait. […] Vu que je me faisais chi… dans la salle de classe, je bloquais le lycée pour pas y aller. » Magnifique, ce lyrisme révolutionnaire de la génération Mélenchon. Sans oublier son cri de détresse, en 2021, sur le plateau de « Touche pas à mon poste ! » : « Moi, j’ai dealé ! […] J’avais pas le choix, sinon, comment je payais mes études ? » On comprend alors que Les Misérables, de Victor Hugo, soit son « roman préféré ». Louis Boyard, c’est Jean Valjean. Une enfance misérable, des petits boulots et puis, un hiver très froid, accablé par la disette, la tentation et la transgression. Le symbole de l’Insoumis face à une société injuste et oppressive.

C’est ça, le plan com’. Ça n’a rien de réel, mais peu importe. Ce qui compte, c’est que vous y croyiez. L’imposture des braillards débraillés.

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire