« Il est certes narcissique, mais à quel degré ? » C’est la question que se posait, à propos d’Emmanuel Macron, Marie-France Hirigoyen dans son livre Les Narcisse, publié en 2019. L’année d’avant, la révolte des « gilets jaunes » avait conduit le Président jupitérien à se prendre, une première fois, le mur du réel en pleine figure. « Arrogant », « autoritaire », « trop sûr de lui », notait la psychiatre. En réalité, dès cette époque, elle se faisait peu d’illusion sur sa personnalité et sa capacité à se remettre en question : « Ce jeune Président, élevé pour appartenir à l’élite de la nation et n’ayant aucune expérience de terrain, saura-t-il descendre du mont Olympe pour comprendre ce qu’est la vie réelle des gens qui travaillent et ont du mal à boucler leurs fins de mois ? Rien n’est moins sûr. »

La présidentielle aura confirmé le diagnostic : pas de campagne, pas de programme clair et surtout pas de débats avant l’entre-deux-tours. Jupiter est resté confortablement assis sur son trône, observant de haut les autres candidats s’entre-déchirer. Il suffisait, une fois de plus, de brouiller les pistes. Rassurer l’électeur de droite avant le premier tour, lancer des œillades à la gauche et à Mélenchon pour le deuxième. Comme en 2017, toute opposition consistante ayant été soigneusement pulvérisée, il n’y avait plus qu’à rejouer le coup du « tous contre l’extrême droite » face à Marine Le Pen.

La stratégie s’étant révélée payante, pourquoi alors en changer pour les législatives ? Malgré des sondages parfois un peu inquiétants, elles ne pouvaient que confirmer le succès de la présidentielle car, après tout, les Français n’étaient pas incohérents. Macron s’était alors envolé pour la Roumanie, abandonnant ses troupes en rase campagne et laissant les Français, à tout le moins, perplexes.

La chute a été brutale. Les Gaulois réfractaires ont opposé à Jupiter un non possumus sans appel, tant par leur vote que par leur abstention.

Depuis, pour les commentateurs de la vie politique, pas de doute, cette fois-ci, Macron allait enfin redécouvrir les vertus de la vie démocratique. Sa première adresse aux Français, le 22 juin, pouvait le laisser croire. Un vocabulaire nouveau avait fleuri au milieu de la logorrhée présidentielle : « compromis », « dialogue », « écoute », « respect ».

Magnifique, le peuple avait donc été entendu. Retour au réel et au plancher des vaches. Après une telle claque, le Président allait dire des choses importantes et faire part de ses décisions pour l’avenir.

C’était mal le connaître. Incorrigible, Macron a, de nouveau, « macroné », comme disent les Ukrainiens et les Russes. C’est-à-dire parler pour ne rien dire et surtout ne rien faire. Pas question, pour Jupiter, de perdre la face et de se remettre en cause. Bien sûr, de l’« écoute ». Je vous ai compris ! Mais attention, ne l’oubliez pas : « Ces élections législatives ont fait de la majorité présidentielle la première force politique de l’Assemblée nationale. »

Et surtout : « Le 24 avril, vous m’avez renouvelé votre confiance en m’élisant président de la République. Vous l’avez fait sur le fondement d’un projet clair, et en me donnant une légitimité claire. » Est-ce donc assez clair pour vous ? Peut-être pas, alors répétons : « Cela veut dire ne jamais perdre la cohérence du projet que vous avez choisi en avril dernier. » Voilà, maintenant, vous avez compris : ce sera « son projet » et peu importe, en réalité, ce que les Français viennent d’exprimer.

Qui portera alors la responsabilité du chaos en cas de refus ? Certainement pas Macron, dont les ambiguïtés et les incohérences ne sauraient expliquer cette situation. Autant transférer cette responsabilité aux autres : « Pour avancer utilement, il revient maintenant aux groupes politiques de dire, en toute transparence, jusqu’où ils sont prêts à aller. » Du pur Macron. Vous vous attendiez à un changement et à ce qu’il vous dise ce qu’il allait faire ? Vous êtes bien naïfs. C’est aux autres de dire si, oui ou non, ils sont prêts à s’adapter à son projet.

Conclusion : inversion complète des rôles, pas de mea culpa et refus d’une quelconque remise en cause de ses décisions. Des aménagements, éventuellement. À ce stade de déni du réel, ce n’est plus un problème politique mais un problème de personnalité. Et c’est sans doute le plus inquiétant pour la suite. Une incapacité à sortir du « moi je » et à intégrer les demandes des autres. Car Narcisse en est persuadé, non, non, rien n’a changé, tout, tout va continuer !

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire