
C’est un cri d’alarme et, en même temps, un appel à la responsabilisation de politiques qui, tout au long de la campagne présidentielle, se seront prudemment défilés chaque fois que le sujet réapparaissait : « Va-t-on enfin parler d’insécurité lors des élections législatives ? » s’inquiétait le pédopsychiatre Maurice Berger dans Le Figaro du 18 mai dernier. Spécialiste des adolescents « hyperviolents », il dénonçait la mise en place, depuis de nombreuses années, d’une « politique antipénale » qui se refuse à punir et à imposer la loi commune face à la loi du plus fort qui règne dans les « quartiers ».
On le sait, les chiffres sont mauvais et la sauvagerie, illustrée par une triste litanie de faits divers, se banalise.
Parallèlement, entre stratégie du déni et usage d’une novlangue anesthésiante, une grande majorité des médias s’efforcent d’évacuer le problème afin de ne pas « faire le jeu des populistes ». Il y aurait pourtant beaucoup à dire car, malheureusement, la réalité est bien éloignée des prudences sémantiques que l’on nous impose et, surtout, masque le fait que l’évolution de la délinquance n’est pas qu’une affaire de chiffres.
Le plus inquiétant tient surtout à son évolution qualitative. Le recul de l’État, ces dernières décennies, a abouti à la démultiplication d’une criminalité organisée et territorialisée qui exerce son emprise sur des populations captives.
Dans son livre La France des caïds, l’avocat du grand banditisme Gérald Pandelon remarque que l’État minimise l’impact du narco-banditisme des cités qui, en réalité, s’étend bien au-delà des « zones de non-droit » avec son argent sale « qui fait vivre des pans entiers de la société ». Il décrit l’émergence d’une France mafieuse et des politiques publiques impuissantes à enrayer le phénomène.
En avril dernier, le maire socialiste de Canteleu (Seine-Maritime) était mis en examen pour « complicité de trafic de stupéfiants ». Le journal Le Monde du 26 avril 2022 se faisait alors l’écho d’une note de l’office antistupéfiants qui alertait sur la menace d’« infiltration du milieu politique, en particulier au niveau local », en lien avec le constat par les services de police « de la montée en puissance de groupes criminels capables de rayonner sur une région entière et de nouer, par la persuasion ou la corruption, des liens durables avec des élus locaux ».
Commentant cette affaire sur Actu.fr, Gérald Pandelon indiquait : « La gangrène se propage en France. Il y a des petites villes, plutôt calmes avant, qui sont aujourd’hui tenues par l’islamo-narco-banditisme. » Le 23 février dernier, le journal Les Échos enquêtait sur l’ancrage de ce narco-banditisme dans les villes moyennes comme Alençon, Libourne ou Besançon, confirmant l’émergence de nouvelles menaces : « corruption de policiers, de douaniers, d’agents municipaux ou d’élus » et « mise en place d’un ordre parallèle défiant l’État ».
L’autre caractéristique de l’évolution de ces dernières décennies concerne l’hybridation de cette criminalité organisée avec un communautarisme islamiste qui poursuit, lui aussi, une stratégie de sécession. Ce ne sont donc pas des « jeunes » qui s’opposent à la police dans des « quartiers sensibles » mais des gangs criminels et des extrémistes religieux qui se rejoignent dans une même légitimation de la violence et une même volonté de faire reculer l’État derrière d’invisibles frontières, pourtant bien réelles, car donnant naissance à de véritables enclaves soumises à la loi mafieuse et à l’idéologie salafiste. Loin de s’opposer, criminalité organisée et communautarisme de « quartiers » convergent, en réalité, dans une même logique prédatrice animée par un imaginaire de rupture, de combat et de conquête. Ce que confirment les profils des terroristes islamistes et des djihadistes partis en Syrie, issus très largement de la criminalité et de la délinquance de droit commun.
On mesure alors la distance abyssale entre la réalité du phénomène criminel en France et les représentations qu’en donnent médias et politiques.
En déplacement aux Mureaux, le 19 mai dernier, une ville frappée par la délinquance, Élisabeth Borne préférait parler égalité femme-homme et changement climatique. Narco-trafiquants et islamistes sont rassurés. Ils savent qu’ils pourront encore dormir tranquilles tout au long des cinq années à venir.
Frédéric LASSEZ