« Vendez-moi ce stylo ! » Vous vous souvenez certainement de cette scène culte, à la fin du film de Martin Scorsese. Leonardo DiCaprio, qui incarne le sulfureux courtier en bourse Jordan Belfort, explique à des vendeurs débutants comment persuader quelqu’un d’acheter. Les personnes choisies pour l’exercice s’efforcent, péniblement, de décrire le stylo en vantant ses supposées qualités. Ils ne savent pas encore que le produit n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ce que le potentiel acheteur a dans la tête. Pas le produit, mais comment le client va percevoir le produit.

La politique réclame désormais les mêmes qualités, car le candidat est devenu un produit comme un autre. Ce n’est pas lui qui compte avec sa personnalité, ses qualités, son projet voire son bilan. Ce qui importe, c’est ce que chaque électeur a dans la tête afin de trouver le bon positionnement marketing qui déclenchera l’acte d’achat, ou le vote si vous préférez. C’est pour cela que l’électorat est observé, analysé, découpé, afin d’apporter à chaque segment convoité le bon message.

Il y a cinq ans, en 2017, Emmanuel Macron, fraîchement élu Président, faisait un discours à l’occasion de l’inauguration d’un incubateur de start-up, Station F, créé par Xavier Niel. Devant un public conquis, il se racontait : « Je dois vous faire une confidence. Il y a trois ans, j’avais promis à ma femme que j’arrêtais la politique pour devenir entrepreneur. […] J’ai commencé, j’ai essayé, puis progressivement, j’ai pivoté le business model. On a avancé en marchant. On me disait : “Tu es tout seul, tu n’as pas d’investisseurs, tu n’as pas de clients.” À la fin, on l’a fait. » C’est ça, maintenant, la politique. Il faut donc commencer par bien comprendre l’état d’esprit de son prospect pour lui faire la démonstration que l’on est la solution à son besoin.

Imaginons le segment des retraités. Avec toutes ces crises, ils sont angoissés. Qui va payer nos retraites ? Rassurez-les ! Faites-leur comprendre que vous êtes prêt à prendre des décisions courageuses pour sauver le système. Tiens, par exemple, la retraite à 65 ans. Et puis, faites passer d’autres messages sur la valeur travail. Parce qu’il ne suffit pas de travailler plus longtemps. Qui va payer s’il n’y a que des chômeurs et des allocataires du RSA ? Alors, montrez que vous allez remettre les feignants au boulot.

Lors de son premier jour à Wall Street, le mentor de Jordan Belfort lui explique : la finance c’est « du vent, du bluff, de la poudre aux yeux, ça n’existe pas, ça n’a rien de réel… » La politique, c’est la même chose. Peu importe la réalité, ce qui compte, c’est l’image que vous allez en donner. Et l’une des meilleures techniques pour modifier la perception de la réalité du client sans en avoir l’air, c’est de lui raconter une belle histoire. Le storytelling.

Donc, si maintenant vous ciblez l’électeur de droite inquiet des mauvais chiffres de la délinquance et de l’immigration, trouvez des gens pour raconter qu’au début vous étiez naïf et qu’il vous a fallu du temps pour comprendre. Par exemple, en février dernier, L’Express annonçait, en couverture, la sortie d’un « livre événement » qui dévoilait « les ressorts de la prise de conscience du Président sur les sujets essentiels que sont la sécurité, l’immigration, ou l’islamisme ». Voilà qui tombait à pic. Un « récit d’apprentissage » pour narrer « l’épiphanie macronienne à force de notes terribles qui s’amoncellent sur son bureau à la tombée de la nuit ». Du storytelling façon thriller.

Tout ça a tellement bien fonctionné que Macron a été qualifié pour le deuxième tour. Après avoir convaincu les consommateurs-électeurs de droite, il fallait alors s’occuper de ceux de gauche. Le Président-candidat leur a vendu du Mélenchon. Un bon produit d’entre-deux-tours constitué d’un mixte de Greta Thunberg et de Rokhaya Diallo. Toute la presse s’est chargée d’en faire la promotion grâce à l’épouvantail de la menace de l’extrême droite.

C’est comme ça qu’on peut finir Président. Mais attention ! Même si on arrive à vendre n’importe quoi à n’importe qui, même si tout ça, c’est « du vent, du bluff », il arrive un moment où la réalité finit par vous rattraper. Demandez à Jordan Belfort.

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire