« D’où parles-tu, camarade ? », la fameuse interpellation utilisée par l’extrême gauche pour disqualifier ses adversaires continue à faire florès.

La journaliste Anne-Laure Bonnel en a récemment fait les frais à l’occasion d’un article de Libération, le 3 mars dernier, car elle dérangeait avec ses reportages sur le Donbass qui dévoilaient une réalité bien plus complexe que le récit manichéen imposé par la doxa des éternels indignés. Il convenait alors de mettre en doute au plus vite sa crédibilité et son objectivité.

« Qui est Anne-Laure Bonnel ? », s’interrogeait alors le journal. Procédant par allusions et sous-entendus de connivence, Libération indiquait que la journaliste avait participé à « un débat organisé par Dialogue Franco-Russe – une association présidée par Thierry Mariani, eurodéputé russophile et membre du Rassemblement national ». Son compte tweeter, qui avait été soigneusement exhumé par les fact checkers du journal, affichait des retweets « d’Eric Ciotti, d’articles de Valeurs actuelles ou encore de publications antivax ». Et surtout ses propos collaient « avec l’argumentaire des autorités russes ».

Face à ce type de procédés, on peut s’indigner, légitimement, mais aussi s’interroger à notre tour sur les garanties de neutralité des multiples « experts » et « spécialistes » qui écument journaux et plateaux télé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Ne faudrait-il pas au plus vite les « checker », eux aussi, afin de vérifier qu’aucun lien ne les rattache à une puissance étrangère susceptible de nous influencer ?

Le 22 mars dernier, Le Point faisait paraître une tribune ayant pour titre : « L’Europe reste vulnérable au pro-poutinisme ». Peter Kreko, présenté comme chercheur et directeur d’un « think tank indépendant » basé à Budapest, dénonçait la position de neutralité de Viktor Orban face au conflit russo-ukrainien. Pour l’« analyste », pas de doute, « le spectre du poutinisme hante toujours l’Europe, et en particulier la Hongrie ».

Le profil de Peter Kreko est parfaitement représentatif du mélange des genres entre expertise et militantisme. Ce qui n’est pas dit le concernant, c’est qu’il est rattaché au National Endowment for Democracy (NED), financé par le Congrès américain.

Une fondation créée par le président Ronald Reagan en 1983. La NED avait pour objectif de « faire au grand jour ce que la CIA faisait clandestinement » comme le reconnaissait Allen Weinstein, un de ses fondateurs, dans un article du Washington Post en 1991. Et notamment, soutenir des partis politiques, des syndicats, des mouvements dissidents et des médias dans des pays étrangers.

Action ouverte mais néanmoins brouillage des pistes pour une stratégie d’influence américaine se dissimulant derrière une multitude de sous-traitants généreusement financés (ONG, centres de recherche, think tanks, associations …) fonctionnant comme autant de « sociétés-écrans » masquant l’action étatique.

Tout cela, bien entendu, au nom de la promotion de la liberté et de la démocratie ou de la lutte contre la désinformation. Dans ce cadre, le recours à des « experts », aux affiliations multiples, inapparentes pour le grand public, permet de donner une caution de neutralité scientifique ou journalistique à ce qui relève bien souvent de l’activisme militant.

Le 13 mars dernier, le Figaro citait abondamment Christo Grozev qui expliquait que l’armée russe était « en chaos total, sans stratégie ni tactique » et que « « la panique [gagnait] déjà le Kremlin ». L’article précisait que ce « journaliste vedette bulgare » travaillait pour « l’agence d’investigation Bellingcat ». Or cette agence est notamment financée par l’Open Society Foundation de George Soros mais aussi par la National Endowment for Democracy (NED).

Dernier exemple avec le très atlantiste Nicolas Tenzer dont le Figaro du 31 mars dernier vérifiait les informations concernant des « images effrayantes » de crematoriums mobiles censés « faire disparaître » les corps des soldats russes morts en Ukraine.

Présenté comme « enseignant à Science Po », Tenzer est également chercheur au Centre d’analyse des politiques européennes (CEPA) qui se fixe pour mission « d’assurer une alliance transatlantique forte et durable » et de construire « des réseaux de futurs leaders atlantistes ».

Le CEPA est lui aussi financé par la NED. Le Figaro avait, cette fois-ci, bien fait de vérifier car les images de crématoriums provenaient, en réalité, « d’une publicité d’une entreprise russe » et dataient de 2013 !

Frédéric LASSEZ