
C’est une révélation du magazine Les Inrockuptibles du 24 février dernier, jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et c’est sans doute la raison pour laquelle cette information des plus importantes était passée sous les radars. Heureusement, le retour de l’actualité électorale permet désormais d’en mesurer toute l’importance.
Cet hiver, alors que les équipes du Président planchaient dans la plus grande discrétion sur son projet, nous découvrons quelle problématique taraudait son entourage : « Comment engager les rappeurs et rappeuses dans une campagne présidentielle 2022 traversée par les questions identitaires et l’omniprésence de l’extrême droite ? Cette question, l’entourage d’Emmanuel Macron se la pose depuis cet hiver. »
Et, là encore, entre deux annonces dramatiques sur l’Ukraine, la mémoire nous revient, car cette mission a été confiée au mouvement Pluriel dont nous avions déjà parlé à propos, notamment, d’un de ses initiateurs, Karim Amellal, le « Monsieur Diaspora » d’Emmanuel Macron. C’est-à-dire un de ses VRP qui, avec plusieurs ministres et députés, ont pour objectif, avec ce mouvement, « de mordre sur l’électorat de centre gauche, mais aussi et surtout de toucher les “diasporas africaines” », comme l’indiquait La Lettre A en janvier dernier.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et le courant s’est orienté très nettement vers la droite, si bien que le lancement du mouvement a été des plus discrets. Le thème de la diversité heureuse a été mis en sourdine et le régalien s’est imposé avec un Président chef de guerre et négociateur international. Ce qui ne veut pas dire qu’un marketing électoral de niche a été abandonné. Bien au contraire, et Les Inrocks nous en donnent un éclairage intéressant, révélateur des contorsions macroniennes pour séduire du centre droit à l’électorat communautaire. La recette du succès pour un second mandat.
Nous apprenons ainsi qu’une des figures influentes du mouvement est Olivier Laouchez, « patron du groupe de médias Trace » et « proche d’Emmanuel Macron » dont il avait organisé la venue, en 2018, « dans la mythique boîte nigériane fondée par Fela Kuti, le Shrine ». Pour les amateurs, on signalera les vidéos disponibles sur le Net permettant d’apprécier le déhanchement présidentiel au rythme de l’afrobeat. Mais revenons à Olivier Laouchez, présenté également comme ancien « directeur de Secteur Ä, premier label indé de rap en France ».
Si, comme moi, vous êtes un néophyte en la matière, le mieux est d’aller directement sur le site de Trace pour en savoir plus. Nous apprenons alors que Secteur Ä « a dominé la scène du rap hexagonal au tournant du XXIe siècle. Le nom du label était une référence à la secte Abdulaï. Ce dernier était un personnage du film Double Détente qui était un chef de gang noir, aveugle, qui faisait sa loi dans une prison. » Tout un programme ! Difficile, en effet, de percer dans le monde merveilleux du rap sans en rajouter dans le transgressif : « Passionné par l’imagerie des films de gangsters, les membres du label vont se créer une image de famille à la fois sulfureuse qui attire autant qu’elle rebute les médias. » Tiens donc, mais pourquoi ce rejet ? « Ce qui différenciait le Secteur Ä des autres labels était son côté sulfureux. Très tôt dans l’œil du cyclone pour les paroles de “Brigitte femme de flic” ou “Sacrifice de poulet” du Ministère A.M.E.R., Kenzy, le boss du label, saura construire autour de ça. »
Évidemment, là, on commence à trépigner d’impatience et on se dit qu’on va aller écouter cette magnifique prose afin de vous en donner les meilleurs extraits mais, en fait… ça ne va pas être possible.
Juste le début de « Brigitte (femme de flic) », vous allez comprendre : « Aucune force d’État ne peut stopper une chienne en rut. Surtout pas quand c’est la putain d’une fille de brute, c’est-à-dire d’un flic de pute. Monique se fait culbuter, Monique se fait […] ».
Ne dites pas que vous devinez la suite, vous serez très en dessous de ce qu’un délire pervers, pornographique et raciste est capable de produire. Au fond, un condensé de cette culture de haine et de violence qui irrigue nos territoires perdus depuis des décennies avec la complicité des élites libérales libertaires et de la Justice qui n’intervient pas au nom de la « liberté d’expression ». Ce qui n’empêche pas le mouvement Pluriel de reprendre, sur son site, une rhétorique victimaire et de dénoncer les « discours de haine [qui] envahissent l’espace public ». Ben voyons, comme dirait qui vous savez.
Frédéric LASSEZ
Source : article paru sur Boulevard Voltaire le 21 mars 2022
