
De la gravité, du régalien, de l’engagement mais pas d’affolement. En pleine période électorale, pas question de laisser les Français s’imaginer que leur Président, qui assume également la présidence du Conseil de l’Union européenne, les entraîne dans une aventure militaire des plus dangereuses sans consultation ni débats.
Les mots sont donc soigneusement choisis et on euphémise à tout va.
Le 6 mars dernier, le ministre des Armées, Florence Parly, était en déplacement sur une base militaire de l’OTAN en Roumanie. Sa déclaration se voulait ferme mais rassurante : « Cet engagement n’est pas offensif, il est défensif. L’Alliance ne menace pas la Russie. L’Europe ne menace pas la Russie. Personne ne menace la Russie. » À qui s’adressait-elle ? Pas aux Russes, qui n’en croient probablement pas un mot, mais bien plus sûrement aux Français par médias interposés. Le 7 mars, c’était au tour de Macron, sur LCI. Le Président disait vouloir « stopper cette guerre sans devenir nous-mêmes des belligérants » et réaffirmait : « La France n’est pas en guerre contre la Russie. » Que faisons-nous, alors ? Pour Florence Parly, « l’Europe est présente pour soutenir la résistance du peuple ukrainien ».
Au même moment, des discussions étaient en cours pour fournir des avions de combat à l’Ukraine. La question se posait également de savoir si des avions ukrainiens avaient trouvé refuge en Roumanie ou dans d’autres pays.
Le porte-parole du ministère de la Défense russe, Igor Konachenkov, lançait un avertissement : « L’utilisation du réseau d’aérodromes de ces pays pour servir de base à des avions militaires ukrainiens et leur utilisation subséquente contre les forces armées russes pourraient être considérées comme une implication de ces pays dans un conflit armé. » Les Russes semblent donc assez peu sensibles au « en même temps » macronien du « pas belligérant mais un peu quand même » que les Européens tentent de leur faire avaler pour éviter de déclencher une troisième guerre mondiale.
Pour comprendre ce qui se joue vraiment, il faut se rendre de l’autre côté de l’Atlantique.
Dans un article du 6 mars dernier, le New York Times évoque le fait que les États-Unis et l’OTAN se rapprochent d’une confrontation directe avec la Russie. Il y a, bien sûr, les transferts massifs d’armes à partir de la Pologne avec, notamment, les fameux missiles Stinger que les Américains avaient livré aux Afghans pour lutter contre les Soviétiques. Mais il y a aussi la coopération entre Allemands et Américains pour géolocaliser, à l’aide de photographies satellites et d’interceptions électroniques, les déplacements de l’armée russe et transmettre aussitôt les informations aux unités militaires ukrainiennes.
Comme le New York Times le reconnaît, le risque ne cesse de grandir : « À mesure que les armes arrivent et si les tentatives d’ingérence dans les communications et les réseaux informatiques russes s’intensifient, certains responsables de la sécurité nationale américaine disent qu’ils ont le pressentiment qu’un tel conflit est de plus en plus probable. » Car le plan, anticipé par les Américains bien avant l’entrée des Russes en Ukraine, est celui du « piège afghan » qui supposerait de faire des pays européens membres de l’OTAN la base arrière d’une guérilla menée par une résistance ukrainienne sur le modèle afghan.
« Les États-Unis et leurs alliés se préparent discrètement à un gouvernement ukrainien en exil et à une longue insurrection », indiquait le Washington Post, le 5 mars dernier. Tout en mesurant le risque que cette situation « n’entraîne les pays membres de l’OTAN dans un conflit direct avec la Russie ». Cependant, par-delà les craintes, il y a surtout la tentation de faire de l’Ukraine le « prochain Afghanistan » de la Russie comme l’évoquait, en décembre dernier, le sénateur démocrate Chris Murphy. Avec l’idée qu’un enlisement sanglant, associé aux sanctions économiques, pourrait, à terme, provoquer la chute de Poutine comme la défaite en Afghanistan avait annoncé la fin de l’URSS. Évoquant cette idée sur le site de la Brookings Institution, Bruce Riedel, ancien analyste de la CIA, reconnaissait cependant, en février dernier, les risques qu’avaient fait courir, à l’époque, cette stratégie au Pakistan qui servait de refuge à l’insurrection : « Être l’État de première ligne derrière les moudjahidines entraînait des risques et des dangers considérables. »
La stratégie du « piège afghan » entraînera les Européens dans une position équivalente. À l’inverse d’un Emmanuel Macron, adepte des faux-semblants, les médias américains ont l’honnêteté de nous prévenir.
Frédéric LASSEZ
Source : article paru sur Boulevard Voltaire le 9 mars 2022
