
Si vous voulez comprendre la politique aujourd’hui, oubliez les journalistes et les politologues. Allez directement voir un spécialiste du marketing. Il va vous expliquer comment ça marche.
Ce qu’il faut que vous compreniez en premier, c’est que le Marketing n’est pas une bataille de produits, c’est une bataille de perception.
Ramené à la politique, cela veut dire que ce qui compte, ce n’est pas le candidat, avec sa vraie personnalité et son projet, mais la perception que vous vous en faites. C’est très différent. Un homme politique américain, John Lindsay, avait cette formule : « En politique, la perception est la réalité ».
L’enjeu pour un candidat est alors le suivant : positionner son offre politique de manière à entrer dans votre tête et y laisser une empreinte positive qui déclenchera l’acte d’achat, ou le vote, si vous préférez.
« Je suis LA solution à vos problèmes ! » : vos peurs, vos espoirs, vos valeurs, vos besoins… .
Et la meilleure technique pour entrer dans votre tête sans en avoir l’air, c’est de vous raconter une belle histoire. Le storytelling.
Attention, cependant, cela n’est pas suffisant, surtout si vous êtes un jeune ministre inconnu des Français et que vous souhaitez devenir vizir à la place du vizir.
Il va vous falloir de sérieux relais médiatiques pour diffuser cette belle histoire.
Ça tombe bien, Emmanuel Macron, en 2016, a déjà un très bon réseau avec des amis qui sont à la croisée du monde des affaires, des médias et de la politique. On ne peut pas faire mieux. Et puis, en tant que ministre de l’Économie, il a su démontrer à ses amis l’étendue de ses compétences. Ça met en confiance.
Prenez, par exemple, Bernard Mourad, un banquier d’affaires, spécialiste du secteur des médias. Il se connaissent depuis plusieurs années avec Macron.
Dans un portrait qu’il lui consacre, en novembre 2018, Vanity Fair raconte que Mourad vient souvent voir Macron à l’Elysée lorsque celui-ci devient secrétaire général adjoint en 2012 : « il y introduit aussi son client, devenu son mentor, Patrick Drahi, alors candidat au rachat de SFR ».
En 2015, Mourad quitte la banque pour prendre la présidence d’Altice Media Group, le nouveau groupe de médias de Patrick Drahi qui, à l’époque, détient notamment Libération et l’Express.
Vanity Fair rapporte que Mourad « suggère », en mars 2016, pour lancer la nouvelle formule de l’Express, « une « couv’ » sur son copain Macron ». Il monte alors « un rendez-vous entre Emmanuel Macron et Christophe Barbier, alors directeur de L’Express. Un long entretien se prépare, titré en couverture : « Ce que je veux pour 2017 ». »
Et, on peut dire que Christophe ne va pas se ménager. L’article consacré à Macron tient du panégyrique mais surtout déroule la belle histoire avec tous les éléments de langage attendus. Son titre : « Emmanuel Macron : l’homme qui veut bouger la France ». Il « agit comme une tornade, qui soulève les idées reçues ». Il ringardise « le vieux logiciel des partis ».
Voilà, ancien monde versus nouveau monde. Macron le « disrupteur » va renouveler la vie politique et la France qu’il transformera en Start-up Nation. Le mythe de l’entrepreneur politique parti de rien qui brise les codes et parvient à imposer une vision nouvelle. Une success story à la française. Ça fait rêver.
Et ça fait aussi rêver Mourad qui décide de rejoindre la campagne de Macron en octobre 2016 comme conseiller spécial.
Revenons maintenant en 2022. La Start-up Nation, plus personne n’y croit. Il va falloir trouver autre chose.
Au départ, l’idée des communicants était plutôt la suivante : jouer le « front républicain » face à l’ « extrême droite ». Oui, mais attention à ne pas perdre le centre droit avec l’électorat filloniste. Car le bilan n’est pas bon en matière de sécurité et les Français sont mécontents.
Par chance, l’Expresse vient d’annoncer, en couverture de son édition du 24 février dernier, la sortie d’un « livre évènement » qui dévoile « les ressorts de la prise de conscience du président sur les sujets essentiels que sont la sécurité, l’immigration, ou l’islamisme ». Voilà qui tombe à pic. Un « récit d’apprentissage », nous indique L’Express, qui « narre l’épiphanie macronienne à force de notes terribles qui s’amoncellent sur son bureau à la tombée de la nuit ». Du storytelling façon thriller. Écrit par un rédacteur en chef de l’Express et une ancienne journaliste du magazine.
Cette fois-ci, ce sera donc le mythe initiatique : l’entrée dans un monde inconnu, les épreuves avec des dragons à affronter, le retour du héros transfiguré.
Ça marche bien ce genre d’histoire. Et puis, avec l’Ukraine, le régalien, c’est vendeur.
Frédéric LASSEZ