Les communicants se sont affairés ces dernières semaines pour optimiser les éléments de langage. Car, rien n’y fait, malgré bien des efforts pour y échapper, la sécurité, l’immigration et l’identité feront partie des principaux thèmes de la campagne présidentielle.

C’est à Marlène Schiappa, le 6 février dernier, sur le plateau de CNEWS, qu’il a, alors, été confié de nous dérouler la belle histoire : « Jamais un président ne s’était attaqué à l’islamisme comme l’a fait Emmanuel Macron ». Du danger, des vrais méchants, un sauveur. Vous n’avez pas fini de l’entendre.

D’ailleurs L’Expresse vient d’annoncer la sortie d’un « livre évènement » qui dévoile « les ressorts de la prise de conscience du président sur les sujets essentiels que sont la sécurité, l’immigration, ou l’islamisme ». Voilà qui tombe à pic. Un « récit d’apprentissage », nous indique le magazine, qui « narre l’épiphanie macronienne à force de notes terribles qui s’amoncellent sur son bureau à la tombée de la nuit ».

Du storytelling façon thriller. Et tellement bienvenu car le bilan n’est pas bon et les Français s’en sont rendus compte.

Dans un sondage IPSOS, réalisé le 12 février dernier, ils sont 60 % à considérer que la situation de la sécurité est mauvaise et 52 % à penser qu’elle s’est aggravée depuis cinq ans.

Dans le lot, même les sympathisants LREM sont 48 % à porter un jugement négatif.

Concernant la maîtrise de l’immigration, d’après un sondage de l’IFOP publié par le JDD le 20 février, les Français sont 76 % à critiquer le bilan d’Emmanuel Macron.

Il va donc falloir en « narrer » de belles histoires pour plonger à nouveau les électeurs dans un confortable sommeil.

Une séquence est d’ailleurs prévue en mars prochain, juste avant le premier tour. La loi d’orientation pour la sécurité intérieure, assortie d’une augmentation de quinze milliards du budget, permettra de relancer la machine à rêves.

Macron l’a promis (pas cette fois-ci, il n’a pas eu le temps, mais la prochaine fois), il va doubler le nombre de policier sur le terrain. Voilà, maintenant, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.

Pour ceux d’entre vous qui seraient du genre (gaulois) réfractaires aux jolis contes du marchand de sable, je vous propose une autre version.

Nous sommes en octobre 2016, Macron n’est pas encore candidat. Dans Marianne, il dénonce les dangers d’une « laïcité revencharde ».

Il fait référence à la polémique de l’été précèdent au sujet du burkini qui avait conduit Manuel Valls à inviter les musulmans à la « discrétion » dans l’espace public.

Au mois de juillet venaient, en effet, d’avoir lieu l’attentat islamiste au camion-bélier sur la promenade des Anglais ainsi que l’assassinat du père Hamel, égorgé dans son église à Saint-Etienne-du-Rouvray. Valls mesurait le danger.

Macron, à l’inverse, y voit l’opportunité de se démarquer : « je dénonce les considérations qui demandent à des citoyens d’être «discrets», parce que les précédents historiques où l’on a demandé la discrétion en matière de religion ne sont pas à l’honneur de la République ». 

Il indique alors être « contre l’interdiction du voile à l’université ». Parce que, au nom de cette « laïcité revencharde », on en viendrait « à sortir des citoyens des lieux de la République et à les confiner à l’écart ».

Tout s’inverse ici.  C’est la République qui finalement pratique le séparatisme. Il le dira plus clairement, quelques semaines après, dans Challenge : « La laïcité revancharde construit du communautarisme ».

Macron prend également l’exemple de l’école. Bien sûr, la religion « ne doit pas être présente à l’école » mais, « quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse ».

Les « accommodements », le terme est lâché dès ce moment-là mais il ne sera pas relevé. Macron, avec son jargon et son double langage, brouille les pistes comme d’habitude, mais cette référence au modèle multiculturel canadien reviendra tout au long du quinquennat.

L’idée est la suivante, si vous voulez évitez la radicalisation, acceptez de faire des « accommodements raisonnables » : sur le voile à l’université, sur le porc à la cantine ou, autre exemple, sur le voile lors des manifestations sportives.

Elisabeth Moreno, a récemment tenu le même discours à propos des hijabeuses : « « Si elles veulent jouer au foot en étant voilées, en quoi c’est impossible ? (…) Très souvent, les filles ont l’impossibilité de sortir de chez elles pour faire des choses, la fameuse assignation à résidence » ».

Bien sûr elle a été rabrouée, mais pour « erreur de com », pas sur le fond car l’amendement du Sénat a bien été rejeté. Les réseaux islamistes qui sont derrière les « hijabeuses » ont gagné.

Quelques jours plus tard, Macron donnait une conférence à l’Agence française de développement. Dans ce cadre moins médiatisé, il saluait le travail de sa ministre et de ceux qui, à ses côtés, s’efforcent de donner « une place nouvelle à nos diasporas et à nos binationaux ». Car, expliquait Macron, « Nous avons des millions de binationaux à qui peut-être, pendant longtemps, on a expliqué : « devenez des bons Français » ; ce qui signifie en sous-titre « oubliez chaque jour d’où vous venez et qui vous êtes ». »

Revenons alors à la belle histoire. Celle qui voudrait que la loi contre le séparatisme constitue de la part de Macron, « un tournant ».

En septembre 2020, alors que la loi est en préparation, les journalistes notent un « virage lexical ».

Plus question pour Macron de parler de « communautarisme ». Le problème, c’est désormais le « séparatisme ».

C’est en réalité quelques mois avant, à Mulhouse, que Macron avait amorcé son glissement sémantique : « Je ne suis pas à l’aise avec le mot de communautarisme. Je vais vous dire pourquoi. Parce que nous pouvons avoir dans la République française des communautés ».

Après son discours des Mureaux, en octobre 2020, présenté comme un tournant car il y dénonce l’« islamisme radical », Macron donne, en décembre, un entretien à L’Express.

 Tout en prétendant ne pas être « multiculturaliste », il revient à son idée de « République plurielle » et fait de nouveau référence à une notion clé du multiculturalisme canadien : la « politique de reconnaissance ».

Elle fait référence au philosophe québécois Charles Taylor pour qui il convient de reconnaître les minorités culturelles et de favoriser les différences en refusant d’imposer aux individus « un moule homogène qui ne leur est pas adapté ».

Cette « reconnaissance » des différences pourra passer par l’acceptations de droits spécifiques accordés aux minorités, ce qui a débouché, au Canada, sur des politiques d’« accommodements raisonnables » au nom de la lutte contre les discriminations.

On retrouve derrière cette approche l’idée d’une culture nationale réduite à ne plus être qu’une culture majoritaire dominante s’imposant à des cultures minoritaires dominées.

Derrière le double langage et les manipulations, il y a une cohérence : dénoncer le modèle français de laïcité et d’assimilation.

C’est ce qu’il dit dans L’Express : « Dans notre Code civil figure encore cette notion très problématique d’assimilation. Elle ne correspond plus à ce que nous voulons faire ».

Ce qui a, alors, réellement contraint Macron à se confronter à l’islamisme ? « Le travail de la police, les remontées des ministres de l’intérieur, les tentatives d’attentats : tout ça s’est imposé au président de la République », indique Manuel Valls dans un article de Marianne du 18 février dernier.

Et, le plus important, il répète ce qu’il analysait dès 2016 chez Macron : « une forme de culture américaine, anglo-saxonne, de libéralisme qui ne correspond pas à nos traditions ».

La séquence des hijabeuses en est l’illustration qui devrait servir d’avertissement quant à la duplicité de Macron en la matière.

Frédéric LASSEZ