Le 31 janvier dernier, Jonathan Bouchet-Petersen, rédacteur en chef adjoint du journal Libération, annonçait le lancement de l’Observatoire de l’influence des radicalités en ligne (IRL). Sa mission : « Ausculter et décrypter l’impact des influenceurs nationalistes, des youtubeurs complotistes, des réseaux sociaux conspirationnistes, autant de “marges” qui pèsent de plus en plus lourd en ligne et sur le débat public. »

Le journaliste, à cette occasion, lançait l’alerte : une « ultra-droite, ultra connectée », sévit sur le Web. De « petits entrepreneurs de manipulations et/ou de haines sont aux avant-postes », une « faune luxuriante et fort peu ragoûtante ». La menace n’étant plus le Covid mais l’« infoxdémie », ajoutaient, dans un autre article, Maxime Macé et Pierre Plotu, les Dupond et Dupont de Libération chargés des enquêtes.

Jonathan Bouchet-Petersen est un spécialiste des observatoires. Déjà, en 2016, il annonçait que Libération lançait, dans la perspective de la présidentielle de 2017, son « Observatoire du FN et de la droite extrême », « Un œil sur le Front ». Il s’agissait de « montrer, analyser, repérer, révéler ou comparer », mais aussi « dénoncer, désintoxiquer ».

Finalement, c’est assez simple, le boulot de journaliste à Libération. Vous reprenez les mêmes thèmes avec les mêmes obsessions et vous changez les noms tous les cinq ans.

Soyons cependant magnanimes, il faut comprendre que le journaliste de gauche se sent investi d’une mission de salut public. Il sait que la situation est grave : le fascisme est à nos portes. Il doit donc sauver la République et, pour cela, surveiller, dénoncer, accuser.

Le monde dans lequel il évolue est simple, avec les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. Et vous, vous êtes du mauvais côté. Il faut donc garder un œil sur vous : ce que vous écrivez, qui vous fréquentez, vos habitudes. L’observatoire est là pour ça.

Vous pouvez faire toute confiance à Jonathan et ses collègues. Eux sont de vrais « journalistes ». Pas de danger de les voir sombrer dans le complotisme, la calomnie ou la propagande. Ils sont l’incarnation de l’impartialité et de l’objectivité, comme leur journal.

Prenez, par exemple, Plotu et Macé, lancés par Libération aux trousses des complotistes. Ils avaient révélé, en octobre 2020, un ignoble complot émanant de la fachosphère. Dans un article intitulé « Face à l’Azerbaïdjan, l’extrême droite française défend l’Arménie », ils expliquaient que l’extrême droite prenait fait et cause pour l’Arménie chrétienne et s’en prenait au pauvre Erdoğan, « l’épouvantail idéal pour cette extrême droite qui veut faire de l’islam une menace ». Les deux observateurs-enquêteurs dénonçaient alors la thèse d’une « prétendue agression des musulmans azéris contre les chrétiens arméniens ».

Curieusement, Libération avait rapidement fait disparaître l’article de son site. Jonathan Bouchet-Petersen en avait expliqué la raison : « Un arbitrage à court terme, entre maintenir sur le site un article pointant la façon dont l’extrême droite s’agite, et la nécessité de sécuriser le travail d’une journaliste sur le terrain. »

Un vrai cas de conscience. À moins qu’à force de voir des complots d’extrême droite partout, on ne devienne soi-même complotiste.

Soyez néanmoins rassurés : de vrais complots, vous en aurez tout au long de la campagne. L’œil de Libération vous observe.

Frédéric LASSEZ

Source : article paru sur Boulevard Voltaire le 3 février 2022