
C’est une petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Son fonds de commerce ? La dénonciation, l’indignation, la réprobation morale. La gauche n’aime pas beaucoup la police mais elle adore lui transmettre des informations au sujet de ses adversaires politiques. Histoire de déclencher d’opportunes poursuites judiciaires qui ne manqueront pas de disqualifier pénalement sinon moralement l’individu ciblé.
L’affaire Fillon restera un cas d’école. L’enquête du Canard enchaîné associée à une justice mise sous pression politique maximale aboutira à l’élimination d’un candidat totalement discrédité. Complotisme s’indigneront certains ? Nous rappellerons alors les déclarations d’Éliane Houlette qui dirigeait, à l’époque, le parquet national financier. En 2020, elle révélait, devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée à « l’indépendance du pouvoir judiciaire », la pression qui avait été exercée sur elle par le parquet général : demande d’ouverture d’information judiciaire, immixtion dans la communication du PNF et demandes incessantes de remontées d’informations. « J’ai gardé toutes les demandes, elles sont d’un degré de précision ahurissante […] Je les ai ressenties comme une énorme pression », reconnaissait la magistrate.
Prenons maintenant Guillaume Peltier, récemment nommé porte-parole d’Eric Zemmour. Le parquet de Blois vient d’ouvrir une enquête préliminaire concernant l’utilisation de fonds publics à la suite d’une enquête de Mediapart. Voilà qui tombe à point nommé et qui permettra de ponctuer la campagne de Zemmour d’une série de rendez-vous judiciaires.
Dans un article du 25 janvier, la Nouvelle République rapporte les protestations de l’avocat de Guillaume Peltier, Me Alexandre Varant, et ses reproches adressés au procureur en charge de l’affaire :
« Il prend pour argent comptant tout ce qui est dit sur ce site (Mediapart). On aurait préféré que la main de la justice soit plus circonspecte, plus patiente, et qu’elle ne vienne pas troubler la démocratie ».
Réponse du procureur : « Je ne suis instrumentalisé par personne, je fais mon métier. J’ai pris connaissance de cet article de Mediapart comme tout le monde, au mois de novembre. Une dizaine de jours plus tard, j’ai reçu un courrier venant d’un citoyen loir-et-chérien, me signalant certains faits. J’ai pris le temps de la réflexion, j’ai aussi pris attache avec d’autres services et collègues, (…) ».
Un « article de Médiapart », un courrier dix jours plus tard « venant d’un citoyen », de la « réflexion » et c’est parti.
Cela veut-il dire que toutes ces affaires sont sans fondements ? Non, bien entendu, mais là n’est pas la question. Comme le démontre l’affaire Fillon, ce qui est en jeu, c’est l’instrumentalisation de la Justice à des fins politiques pendant des campagnes électorales et le rôle bien ambigu d’un journalisme qui tient plus du militantisme.
D’autres affaires illustrent cette confusion des genres.
En 2020, à Rennes, une journaliste de Quotidien dénonçait à la police des catholiques qui se rassemblaient pour protester contre l’interdiction des cérémonies religieuses lors du deuxième confinement.
Même le rédacteur en chef numérique de France inter s’inquiétait sur twitter :
« Gênantes ces images d’une journaliste de @Qofficiel qui signale une infraction à des policiers. Journaliste ou auxiliaire de police ? ».
Cette pratique persiste néanmoins.
A Villepinte, en décembre dernier, des dizaines d’antifas tentent de perturber le meeting d’Éric Zemmour. La police saisit sur certains d’entre eux des cocktails molotov.
Réaction de Médiapart : « Une soixantaine d’interpellations, et beaucoup de remises en liberté sans poursuites : c’est le bilan de la manifestation antifasciste à Villepinte, durement réprimée pendant le premier meeting d’Éric Zemmour. Militants, avocats et journalistes font état d’un zèle policier inquiétant ».
Les journalistes de gauche, quant à eux, ne manquent pas de zèle pour aider à l’identification des individus impliqués dans la bagarre avec les militants de SOS Racisme : « Nous avons analysé plusieurs séquences vidéo partagées sur les réseaux sociaux », relatent des journalistes du Monde.
Daté du 10 décembre dernier, l’article donne de nombreux détails sur les assaillants : « un homme en jogging noir rayé de jaune », « un deuxième homme, vêtu d’une chemisette claire », « un homme vêtu d’un manteau beige », « un autre, couvert d’un béret et d’une écharpe bleu foncé ». Et pour terminer : « La majorité des auteurs de ces violences n’ont pas encore été identifiés, mais l’homme en noir au cache-col est reconnaissable, car il apparaît à visage découvert sur certaines images. Il s’agit de (…) ».
Pas encore « identifiés » mais les journalistes se seront donnés bien du mal pour apporter leur aide.
Autre exemple avec la vidéo d’individus tirant au fusil sur des cibles qu’ils désignent comme étant, notamment, le député Insoumis Alexis Corbière et son épouse, Raquel Garrido
Dans cette affaire, on assiste à un véritable travail en réseau comme le montre un article de Libération en date du 21 décembre dernier :
« Révélées sur Twitter par Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde, un groupe antifasciste, et par Mediapart, qui dévoile une seconde partie de cette story instagram que Libé a également pu se procurer dans son intégralité. Des images saisissantes ».
Une photo illustre l’article avec la légende suivante : « Capture d’écran d’après la vidéo réalisée par des militants d’extrême droite diffusée sur un compte Instagram privé puis récupérée par le porte-parole du groupe antifasciste La Jeune Garde qui l’a diffusée sur le compte Twitter @ArnaultRaphael ».
C’est donc un militant antifa qui communique, en même temps que Médiapart, une vidéo provenant d’un « compte Instagram privé ». Il y aurait donc un réseau de surveillance sur le net ? Une sorte de NSA d’extrême gauche en charge de la collecte d’informations ?
L’objectif en tout cas est clair : identifier et dénoncer les adversaires politiques.
L’article de Libération est édifiant, comme en témoignent ces différents extraits :
« Celui-ci est, selon une information de Mediapart que Libé a pu confirmer, un militaire ou ancien militaire. Toujours sur son compte instagram, privé, il posait il y a quelques mois de dos en treillis et manipulant un mortier sur ce qui semble être une base militaire ».
Ou encore : « Mediapart a retrouvé son compte Twitter, où il faisait étalage de son soutien à la candidature d’Eric Zemmour (…) ».
Et enfin : « Nous avons pu identifier au moins un ancien membre du groupuscule Blood and Honour France (…). Tout comme un certain (…) ».
Grâce aux informations transmises, une enquête est alors ouverte par le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) pour « menaces de mort et provocation à la haine raciale » et confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) annonce Nice matin, le 29 décembre.
Le même jour, les deux individus sont jugés en comparution immédiate devant le tribunal judiciaire de Paris. Nice matin cite quelques extraits des déclarations des prévenus à l’audience et notamment celui-ci : « La vidéo était censée rester privée entre nous ».
Revenons alors à des événements plus anciens. En octobre dernier, à l’occasion d’un meeting d’Eric Zemmour, des affiches avaient été placardées à Nantes avec le portrait du candidat une cible sur le front.
Comme le notait le Figaro dans un article du 30 octobre, une photo de cette affiche apparaissait sur un compte Instagram antifas : « Sur l’affiche, en deux parties, figure une invitation à venir manifester « contre le fascisme » sur le parking de la salle de spectacle dans laquelle doit intervenir Éric Zemmour. À côté, l’écrivain est dessiné avec un sigle « Wanted » et avec une mire d’arme à feu sur le front. On peut notamment voir cette affiche sur le compte Instagram de « Nantes révoltée », se définissant comme un média autonome et engagé sur les luttes sociales et environnementales à Nantes ».
Ce même 30 octobre, des centaines d’antifas multipliaient les violences en marge du meeting de Zemmour en criant : « Zemmour à mort, à mort les fachos », rapportait le Figaro qui ajoutait : « La manifestation a pris fin vers 18h 30. « Aucune interpellation n’a été opérée (…) mais un travail d’enquête et d’identification » est désormais engagé, a souligné la préfecture ».
Sur cette affaire, la police ne semble pas avoir bénéficié du travail d’identification de Médiapart, Libération ou le Monde. Pas d’analyses de vidéos, de photos ou de comptes privés Instagram pour identifier et révéler les noms des antifas impliqués dans ces violences et ces appels au meurtre.
Alors, journalistes ou militants ?